Lui je l’ai reconnu tout de suite : le beffroi de Bruges !
Je me suis souvenu de lui sous un autre éclairage et pour cause : c’était la nuit et c’était après la pluie. Sur ma photo les lampadaires fabriquent d’étonnantes étoiles et c’est peut-être ça aussi la photographie : écrire avec de la lumière le monde autrement qu’il n’est vraiment, arrêter le temps sous forme d’une image rien qu’en déclenchant.
Sur une autre de mes photos le beffroi apparaît plus blanc mais bon, c’était il y a trente et un ans et la pluie ne fait pas que laver les bâtiments. Même si elle ne tombe que très peu en Bretagne, elle n’est utile qu’aux jardins. Elle ne saura pas m’expliquer, cette noyeuse de François Hollande et gâcheuse de cérémonie d’ouverture, pourquoi j’ai retrouvé au grenier, dans mon dossier « Dix sonnets à la gloire de Bruges », des tirages photographiques sur papier couleurs d’après diapos que j’ai dû reproduire à nouveau pour mon projet : les photos en question ne sont pas dans les quatre boîtes de diapositives que j’ai scannées et étaient donc absentes de mon disque dur ! D'où sortent-elles ?
Mais je ne suis pas là pour raconter ma vie, la combat de Saint-Georges contre son dragon, celui de Joe Krapov contre son grenier… Quoique ! Cette dernière proposition d’écriture de l’été de l’oncle Walrus aura eu un effet positif et pour moi et pour vous : j’ai retrouvé des textes d’une époque où je n’étais que poète, photographe et aquarelliste !
J’en ai fait un joli « zibouque » dont je vous fais cadeau tout en lançant bien fort à nouveau mon fameux cri d’amour fou : « Vive la Belle gigue ! ».
Il y en a une qui est limonade et l’autre qui est plutôt Coca ?
Laquelle préfère la salade de tomates aux macaronis assaisonnés de bon pesto ?
Il y en a une qui est banane et l’autre préfère l’ananas ?
L’une aime le judo – bienheureux tatami ! - et l’autre le dada – encore un tour de manège ! - ?
Laquelle est agile ? Laquelle est véloce ? Toutes deux vives et malines ? Prêtes à à rire et voyager ?
Il y en a une qui préfère lire et l’autre qui aime mieux aller au ciné ?
Laquelle appelle le plus souvent grand-père pour qu’il lui serve de taxi ?
Ont-elles vu « Pépé le Moko » ? «Ont-elles lu « Nana » de Zola ? « Lolita » de Nabokov ? « Madame Bovary » ? Ou ne lisent-elles qu’Amélie N. ? Astérix, Obélix et Idéfix les font-ils rire de façon égale toutes deux ? Ont-elles aimé « Charade » de Stanley Donen avec Audrey Hepburn et Cary Grant ? Ont-elles été choquées par la Cène sur la Seine aux J.O. de Paris ?
Voudront-elles, plus tard, un mari, des bébés, une Maserati, un palace, avoir un jet privé ou mener une vie simple et normale ? Leurs goûts sont-ils plus modérés que ceux d’Elon Musk ?
Ont-elles, dans leur « dressing » ou plutôt «garde-robe », un kimono, un boléro, un caraco, un domino, des mini-jupes, des robes de bal, un pyjama rose bonbon ou du Chanel n° 5 de chez la Dame Coco ?
Iront-elles à Venise, à Megève, à Sète, à Madère, à Pise, à Tunis, sur la Côte d’Azur, sur la Côte d’Opale où Saint-Valery pique un somme ? Voir le lac Balaton ou le Colorado ? Escalader l’Himalaya ? Visiter la Lozère ? Y songent-elles parfois à leur bilan carbone ?
Laquelle des deux se couchera longtemps de bonne heure pour faire des rêves plus jolis ?
Est-ce que l’autre s’endormira mieux si elle cherche, comme Julio Cortazar et moi-même ce jour, des mots dans lesquels les consonnes alternent régulièrement avec les voyelles ?
L’une d’elles prendra-t-elle la relève pour animer un jour le Défi du samedi ?
Ont-elles déjà croisé sur la plage de Trestel un rigolo qui joue sur un ukulélé de plastique rose une chanson qui parle de petite-cousinade virtuelle ?
Je n’ai pas de réponse à toutes ces questions mais ce qui est plié comme un origami c’est que dans le coeur des parents comme dans celui des grands-parents aucune n’a la préférence, quelles que que soient leurs différences. Elles sont leur vitamine et leur fierté et c’est très bien ainsi, je vous en donne ma parole d’honneur de gars qui a élevé deux queniaux* !
* vocable utilisé pour « enfançon » dans la Sarthe, pas très loin de La Suze, verse m’en encore une, Roger**!
**« See Emily play » est un des premiers tubes du groupe Pink Floyd et est signée Roger Keith, dit Syd, Barrett à qui on doit aussi, sur son album solo le titre « Baby Lemonade ».
Les trois crânes chauves ou dégarnis qui dépassent des transats et s’inscrivent dans son champ de vision rappellent un bien mauvais souvenir à Marie-Jeanne Gabriel. Celui de son directeur de thèse de littérature comparée à l’Université de Rennes 2, Frédéric Lebanc d’Arfou, un petit monsieur ventru, adipeux, chauve, trop parfumé, aux doigts boudinés, qui venait se planter sous votre nez pour vous parler, installait une proximité quasi centimétrique avec chacune de ses interlocutrices.
Qu’est-il devenu, cet allumé de Frédo ? Sans doute est-il mort maintenant. Parce que depuis sa thèse, soutenue en 1988, il s’en est fracassé des vagues à Saint-Malo où, maintenant qu’elle est une vieille enseignante retraitée, Marie-Jeanne se rend tous les mercredi après-midi pour faire du longe-côte avec ses copines. Comme beaucoup de Bretonnes elle a toujours aimé la mer, la natation, le grand air. En témoigne cette photo d’elle posée sur un des rayonnages de sa bibliothèque très fournie. Elle a été prise en 1989 sur la plage du Sillon. C’était juste après le carnaval où David, son petit ami de l’époque, photographe amateur, avait été pris à partie par un groupe de « Vénitiens » parce qu’il portait lui-même une cape arc-en-ciel, un tricorne et une bauta et s’était mêlé à eux par jeu. Les autres n’avaient pas trouvé ça très malouin et l’avaient pressé de s’écarter. Saint-Malo-Rennes, c’était déjà un derby à l’époque, même si aujourd’hui les deux villes ne jouent plus dans la même division.
.N’en déplaise à Judith Godrèche, il n’y avait pas eu d’affaire Lebanc d’Arfou. Ce monsieur avait dû mener sa carrière de prof de fac jusqu’au bout sans jamais passer à l’acte. Un obsédé sexuel, certes, à tous les coups, mais comment le prouver et que dénoncer s’il n’y a ni attouchements, ni propos déplacés, ni rien sauf un goût soupçonné pour tout ce qui concerne les échanges de liquides au niveau du bas-ventre lors de cérémonies visant – ou pas – au réarmement démographique du pays ? Encore cela revêtait-il uniquement, chez lui, la forme de sujets de thèses bien choisis confiés à ses étudiant·e·s :
- Le Langage de l'obscénité : étude stylistique des romans de DAF De Sade ;
- L’Univers langagier de San Antonio ;
- Les Deux volets du « Sodome et Gomorrhe » de Marcel Proust ;
- La Femme, la Cour et les arts chez Brantôme ;
- Éléments d’érotique du texte. Trois auteurs contemporains : Alain Robbe-Grillet, Kateb Yacine et Sony Labou Tansi.
Et aussi bien sûr celle qu’elle-même avait brillamment soutenue malgré son sujet éminemment casse-gueule :
- Représentations comparées de la femme chez Marcel Proust, Frédéric Dard, Pierre Perret et Georges Wolinski.
Elle se souviendrait toujours de l’altercation survenue lors de la soutenance entre le président du jury et son directeur de thèse.
- Mademoiselle Gabriel a effectué un excellent travail de recensement statistique du vocabulaire utilisé par ces auteurs, notamment en soulignant l’omniprésence de la syllabe « cul » dans tout le corpus étudié et l’absence du vocable « cattleya » chez Pierre Perret. Mais je trouve curieux d’insister ainsi sur l’appartenance « zodigliacale », comme dirait Francis Blanche, de ces quatre auteurs à un même signe astrologique, celui du cancer. Allons nous voir bientôt débouler des thèses sur Madame Soleil, Elisabeth Tessier, Paco Rabanne ? Pour quand une biographie comparée d’Arthur Rimbaud, Christophe Colomb et Roger Hanin, nés tous trois un 20 octobre ?
- Tu dis ça parce que toi aussi t’es du Cancer, Maurice ! avait ricané Frédo.
- Peut-être, mais tu n’as pas du tout creusé la question de la modulation par l’ascendant. Sans oublier que la position de la Lune est prépondérante pour ce qui concerne le psychisme. Surtout chez les cancers ! D’ailleurs...
Ce charabia de spécialistes avait bien duré dix minutes, les plus longues de sa vie, car le ton avait monté et les deux professeurs en étaient presque venus aux mains avant que tout ne retombe comme un soufflé et qu’elle ne reçoive les félicitations du jury et la mention très bien.
Qu’y avait-il eu entre ces deux-là ? Une histoire de femme piquée par l’un à l’autre comme pour George Harrison et Eric Clapton ? Une cohabitation trop intime dans un appartement en colocation rue Legraverend ou ailleurs au temps où ils avaient été eux-mêmes étudiants ?
***
Marie-Jeanne Gabriel chassa ces pensées et ces interrogations et se remit à écouter la musique « folk-soul » des deux soeurs venues de Roanne qui jouaient devant un public inattendu et surprenant : des dames à cheveux blancs de retour du longe-côte, des messieurs à crâne chauve, tout un monde de boomers affalé dans des transats sur la place de la Mairie de Rennes alors que leur public potentiel à elles buvait force bières aux terrasses des « Grands gamins » et du « Sketch » sur le mail François Mitterrand.
Elles jouaient bien de la guitare, les deux sœurs, mais pratiquement jamais ensemble. Elles chantaient bien aussi avec deux voix très différentes mais, très souvent, l’une après l’autre, avec un début de chanson en français et la suite en anglais. De toute façon le batteur tapait tellement fort qu’on ne comprenait rien à leur discours. Il fiche quoi, le mec à la table de mixage ?
Et puis à un moment elle n’a plus rien entendu du concert. Les trois crânes chauves se sont mis à dialoguer très crûment entre eux.
- A ton avis, Didier, laquelle couche avec le batteur ?
- Peut-être qu’il s’envoie les deux ?
- Tour à tour ou ensemble ?
- Laquelle crie le plus fort quand elle jouit ?
- Il ne sait pas, il garde ses airpods en baisant !
C’est insupportable pour Marie-Jeanne. Elle se lève, ramasse son pliant à trois pieds et quitte le concert. Ça lui rappelle la blague racontée par sa copine Maryvonne.
- C’est deux sœurs jumelles qui s’entendent très bien et il y en a une qui se marie avec un nommé Gérard Lambert. Mais l’autre trouve le copain de sa frangine à son goût et demande l’autorisation à sa sœur de la remplacer au cours de la nuit de noces pour profiter elle aussi de ce joli garçon. Les choses se passent ainsi et Gérard Lambert est tout heureux de remettre le couvert sans que ça ne provoque de la gîte. Simplement, le lendemain, il se sent obligé de confier à son beau-père son étonnement : son épouse avait deux pucelages !
Cet envahissement de fantasmes et d’anecdotes d’un goût douteux lui rappelle également un roman de Donald Westlake, « Un jumeau singulier », l’histoire d’un type qui se fait passer pour deux frères jumeaux afin de séduire deux sœurs jumelles.
Mais bon, Westake a une bonne excuse pour cette grivoiserie : lui aussi est du signe du cancer !
Tour de chant, l'émission de Martin Pénet sur France-musique le dimanche à midi est consacrée depuis deux semaines à Françoise Hardy. Autant la première a permis de redécouvrir quelques textes sympathiques - L'Amitié, La Maison où j'ai grandi, Mon amie la rose, Le Temps de l'amour - autant cette deuxième fournée consacrée aux duos de la dame nous emmène dans le ridicule ou le catastrophique - mais c'est ça aussi, les années 60 des sucettes à l'anis d'Annie.
En témoigne ce "OK Bilboquet" chanté en duo avec "Ah que Johnny H.". On trouve même, pour parfaire le tout, une transcription des paroles sur le site Johnny Hallyday le web sur laquelle on peut lire :
J'imagine que c'est avec Denis ou avec Reuilly qu'on parle d'hydro ? ;-) Bon amusement à vous !
Pour qui fréquente les dictionnaires volumineux le mot « zigoto » arrive bien tard. La lettre Z est en effet la dernière de notre alphabet.
Si on considère les vocables qui contiennent les voyelles ou plutôt les sons i, o, o dans cet ordre, le zigoto vient après les biscoteaux, le quiproquo, le rigolo, le rizotto et le sirocco.
Il y a fort à parier que le zigoto se verra affublé d’une notation « pop. » pour populaire ou « argot. » pour argotique. Quand un mot est argotique il est rarement utilisé en art du roman, du moins dans ce genre de littérature qu’écrivent des zigotos prénommés Marcel ou Michel et devant laquelle des critiques littéraires s’extasient comme s’ils venaient d’en prendre une pilule.
Par bonheur il nous est encore permis de fréquenter d’autres écrivains dont la langue est plus verte que celle de Monsieur Proust et plus colorée que le vomi du sieur Houellebecq.
Retournons donc à nos sources populaires (Frédéric Dard, Léo Malet, Pierre Perret, Alphonse Boudard et les auteurs de la Série noire) pour en savoir plus sur le zigoto.
A moins d’un quiproquo le zigoto est un mec plutôt rigolo qui mange du rizotto pour avoir de gros biscoteaux et sait distinguer Sidi Rocco de Sidi Freddy. Plus sérieusement le zigoto est juste un bonhomme qu’on ne connaît pas et qui a (ou qui fait) quelque chose qui attire l’attention. Il n’est, à priori, pas de votre monde.
Les synonymes de zigoto sont nombreux, beaucoup plus en argot que dans le français soutenu.
En argot on peut dire un gus, un gazier, un mec, un mecton, un zigue, un zigomar, un m’as-tu-vu, un rigolo. Sinon en français c’est un gars, un type, une personne et vous êtes souvent obligé de préciser votre description en ajoutant un adjectif ou une proposition relative : un gars bizarre, un type étrange, un individu louche, une personne originale qui doit trouver rigolo d’associer biscoteaux, quiproquo, rizotto et sirocco dans une seule et même phrase. Ce peut être aussi un frimeur, un fanfaron, un extravagant.
Terminons par deux considérations importantes :
- En argot le zigoto et ses synonymes n’ont pas de féminin. On ne dit pas une zigotote, une gusse, une gazière, une mecque, une mectonne, une zigue, une zigomare. On emploie un tout autre mot : une moukère, une gonzesse, une greluche, une meuf, une pépée. Il y a cependant dans ces vocables-là un jugement de valeur assez péjoratif et on ne retrouve pas vraiment le côté étrange ou hors norme du zigoto. Peut-être faudrait-il dire une allumée ? Une rigolote ? Une louloute qui apporte comme un coup de sirocco ? Une metteuse de pieds dans le plat de rizotto ? Les dames et demoiselles n’ont d’ailleurs pas plus de chance en français soutenu. Une garce, une typesse, une individue, ça n’existe pas. Si ? J’ai de la chance, personnellement je n’en connais pas ! Le féminin de zigoto doit être plutôt une drôle de fille, une fille bizarre, une drôlesse ?
- Il existe des zigotos partout dans le monde :
en Turquie le zigoto ment ; en Syldavie le zigoto carre son sceptre dans une vitrine ; en Sarthe on surnomme l’ami Vegas « le zigoto du Layon » parce qu’il a abandonné sa Bourgogne natale aux riches vignobles pour venir s’installer dans un pays où l’on ne boit que du Jasnières ! ; en Allemagne le zigoto Klemperer ; au Japon le zigoto rit au nô de son larynx de joueur de go pas logique ; au Japon encore notre amie Tokyo en ramène des tas de Kyoto dont André son gorille ; en Angleterre, d’après Jacques Bodoin, Philibert zigoto the blaqueboharde ; dans le Nord-Pas de Calais on l’appelle « agosil » ; en Afrique il porte un pagne et est appelé « zoulou » ; dans les années quarante, à Paris il portait des knickerbockers et dansait le swing sous le nom de « zazou ».
Bref le zigoto est un drôle de zèbre. Un type dans mon genre, en fait !