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Le cahier de brouillon de Joe Krapov
30 mars 2012

Quoi de neuf ? Pérec !

DDS 187 drapeau_canada_1_Ca se passe dans un paradis sur la terre, une contrée de grands lacs, de forêts profondes. Le gibier abonde, on peut le suivre à la trace dans la neige, poser des collets, tirer le caribou ou, plus original, l'orignal au fusil. On commence à situer ?

On récolte la sève sur le tronc des érables pour en faire du sirop et la feuille de cet arbre a fini, elle aussi, par coller au drapeau. La région est vaste, peu peuplée, sauvage au possible et pourtant, la perfection n'étant pas de ce monde, Georgette Pérec est bien en peine.

A l'inverse du sieur Juvet – rien à voir avec Louis ! -, elle se demande : « Où sont les mecs ? ». Ces pleutres se calfeutrent : ils s'avèrent incapables de remédier à l'état de siège. Il est impossible en effet de sortir de Silène de Mont-Louis, leur village, car un monstre sanguinaire terrorise les passants sur la route menant à la bourgade. Il ne réclame ni brebis ni fille de roi, il dévore tout le monde, ce gros insecte rançonneur, les entrants comme les sortants.

- A grand mal, grand remède ! Prenons notre destin en mains nous-mêmes, les filles ! a déclaré Georgette Pérec. Le moment de mettre fin à la vie de ce tourmenteur sur pattes est arrivé !

L'aimable Canadienne enfile sa canadienne et prend sa canadienne car il lui faudra bien plus d'un jour de route pour atteindre l'ennemi.

DDS 187 aiguiser- Tu vas camper au bord du lac ? lui demande son amie Madeleine Basdelaine. Caaalice ! J'irais bien avec toi mais j'suis ben trop molle du genou ces temps-ci !

- Crisse de Tabarnac ! Je m'en vas l'assassiner, ce dragon ! J'ai entendu une jolie tune d'un nommé Daniel Lejeune dans mes écouteurs. Ca dit ceci : « Je sais une ville au nord de l'Ontario. J'ai là des souvenirs de jours paisibles et bienfaisants. Si jamais j'ai besoin de me ressourcer, je retourne vers elle de manière à renaître. » Moi aussi, Madeleine, je rêve de voir cette ville et des tas d'autres endroits du monde où l'on s'amuse sûrement beaucoup et pour cela, ben, il faut nous débarrasser de c'tenflure de maringouin géant !

- Je t'admire Georgette, mais comment vas-tu faire pour venir à bout de c't affaire ?

- Je vais d'abord affûter mes outils et je l'amadouerai en lui balançant l'air du gars Daniel. Il m'écoutera et pis au moment où lui aussi se sentira « désemparé et sans aide » je lui collerai un grand coup d'ma cognée en gueulant « Timber » ! D'ordinaire j'sus contre la violence mais là, t'avoueras, elle est nécessaire. Comme le maudit gouvernement ne veut pas s'emparer du problème, c'est à nous de le régler, non ?

DDS 187 090819_030


Ainsi fit-elle. Elle se mit en route et parvint face au monstre dans le milieu du troisième jour de son périple. Le gros diptère était au milieu du sentier en train de se taper une broue avec une paille.


Georgette posa sa guitoune, entama sa tune, la bête l'écouta puis, comme un ouragan, la routarde lui monta au pif et, vengeresse, lui planta le fer dans l'antepronotum, lui coupa la somite et la culicida du Gregor Samsa du démon clamsa ! Un coup d'aiguille et le dommage était causé, la cause gagnée et morta la vaca !


***


Depuis ce jour, grâce à la courageuse Georgette Pérec, les maringouins de cette partie du Canada où l'on parle encore le français ont tous rapetissé, ne voulant pas connaître le sort réservé au clone de la bestiole pragoise par notre personnage de maîtresse-femme. Ils sont maintenant tout petits et, pour tout dire, inoffensifs. De plus on trouve auprès de tout bon dépanneur de l'endroit de la crème efficace et des voiles de tulle à se mettre par-dessus la tête pour se protéger des bibittes.

En souvenir de Georgette Pérec, de sa force d'âme, de son regard bleu vosgien et de sa victoire sur le maringouin géant, les générations suivantes ont inventé la journée internationale de la femme. Le 8 mars de tous les ans, on a désormais pour coutume là-bas d'offrir à sa porteuse de brassière d'amour, à sa blonde ou à son agace-pissette préférée une brassée de mignonnes fleurs bleues dont j'ai oublié le nom. Je sais, je n'aurais pas dû. Ce sont peut-être des « Forget-me-not » ? Ca justifierait mon trou de mémoire !

Cette jolie légende aurait pu bien se terminer mais c'était sans compter sur Groscouillu Joliesgosses, le dieu des coupeurs de bois du Canada et des porteurs de pourpoints en tissu écossais et bonnets de castor.
Pour se venger de l'outrecuidance féministe de Georgette et de ses pareilles, pour réparer l'outrage du ravalement de la gent masculine de la région au rang de lopettes indéfendables, Groscouillu Joliesgosses dota les auteures interprètes féminines de ces coins-là d'un organe vocal à faire trembler les épicéas. Cadeau empoisonné ! Du coup on ne comprend même plus, tant elles gueulent, les paroles de leurs bluettes !
Depuis-ce jour, moi-même, je préfère le maringouin de Silène au baragouin de Céline. Comme je dis à mon épouse dans notre vieille automobile : "C'est Dion, tourne le bouton ".

DDS 187 je me souviens


Pour se souvenir davantage encore de Georgette Pérec, « je me souviens » est devenu la devise de cette partie du monde et Mme Marie Travers, dite la Bolduc, a composé et interprété une gaudriole intitulée « Les maringouins ». Si ça vous dit de la turluter avec moi et d'entendre mon ruine-babines à fausses notes, c'est ici !

 

 

P.S. Les lecteurs assidus et les lectrices perspicaces auront deviné qu'il s'agissait ici de « 99 dragons : exercices de style. IX, Lipogramme ».
Ce texte a en effet été écrit sans utiliser les lettres H,K,Q,W,X,Y et Z.
Quoi de neuf ? Pérec !

P.S. La photo de Georgette et Madeleine a été fournie par Joye qui est un peu leur voisine !


 

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23 mars 2012

99 dragons : exercices de style. VIII, Rêve (Joe Krapov)

Oui, bien sûr, j'ai enregistré « File la laine » et « La légende » hier soir. Mais ça n'explique pas tout. Ce n'est sans doute pas pour cela que j'ai fait ce rêve étrange qui m'a réveillé à trois heures du matin.

J'étais tombé en panne et j'avais dû poser mon avion dans le désert libyen. Pas trop de bobo à l'atterrissage mais il allait falloir que je me débrouille tout seul pour réparer et repartir.

J'étais donc en train de trifouiller dans le quadrimoteur avec mes deux fois cinq doigts quand tout à coup j'ai entendu une petite voix derrière moi qui demandait :

- S'il vous plaît, dessine-nous un bazooka ?!

DDS 186 090521 423Je me suis retourné et je me suis retrouvé face à deux moutons dont un noir et un à cinq pattes.

- Un bazooka ? Est-ce que vous saurez seulement vous en servir ?

- Aucun problème, Red baron ! On a fait nos classes. Je suis le lieutenant Pascal Panurge et celui-ci est le sergent Ovid D. Sheependale.

- Je ne suis pas le Red Baron, je suis le capitaine Georges Poujouly. Et d'abord, contre qui voulez-vous l'utiliser, ce bazooka, si je le dessine ?


- Contre le méchant dragon qui terrorise la contrée. Chaque jour il boulotte deux d'entre nous.


- Bêêênédicte, Bêêêlinda, Bêêêrnadette, Bêêêrthoise, Bêêêttina, Bêêêatrice, Bêêêrengère, Elisabêêêth, Bêêêthsabée, Robbêêêrta, Bêêêrénice et Bêêêrgamotte y sont déjà passées, ajouta le sergent. C'est la Bêêêrézina ! Nous ne sommes plus que deux pelés, trois tondus et une brebis galeuse. Et le roi de Silène s'inquiète, lui aussi !


- Pourquoi ? Le dragon bouffe aussi les rois et se tire avec la galette ?


- Quand tout le troupeau aura été décimé, il y a de fortes chances pour que le monstre réclame de bouffer ses jeunesses. Il aime tout ce qui gigote.

DDS 186 091114 088Tout en les écoutant dérouler leurs doléances de cette façon un peu bébêêête, j'avais continué mes réparations. Je fermai le capot, m'installai aux commande, tournai la clé. Miracle, les hélices se mirent à tourner. J'allais pouvoir repartir et mener « Le petit prince », mon avion chéri, vers d'autres aventures.

- Mon capitaine... Très saint Georges Poujouly... Ne nous abandonnez pas ! Vous êtes notre seul espoir. Tous ces bêêêllâtres de chevaliers qui entourent le roi n'oseront jamais aller affronter la Bêêête du Gévaudan.

- Montez ! leur dis-je, aux deux frisés défrisés. Pas besoin de long discours ni de petit dessin. Vous allez me guider vers l'endroit où sévit ce guignol, j'en fais mon affaire.

Dans son marécage boueux, il était vraiment bien hideux et si je n'étais pas intervenu, cela aurait été une plaie pour le roi de devoir donner sa fille à becqueter à cet effroyable animal.

En deux rafales de mitrailleuse, l'affaire fut réglée. On ne m'a pas surnommé l'allumeur de réverbêêêres pour des prunes - zut, voilà que j'ai attrapé le tic de langage de l'autre, maintenant - !

Le seul problème c'est que le bruit de la mitrailleuse me fit sortir de mon sommeil. Je jetai un œil au réveil à cristaux liquides de la chambre. Il indiqua deux heures, puis, tout aussitôt, trois heures. Ah oui, c'est vrai, on changeait d'heure ce week-end ! Allons bon ! Que de contrariétés ! Pourvu que je me rendorme ! J'ai horreur de découcher et d'aller lire « A la recherche du temps perdu » dans la chambre d'amis en vue de ne pas réveiller Françoise, mon épouse, et de retrouver mon cycle de sommeil.

- Ne te bile pas, Georges, me dirent Panurge et Sheependale, on va t'aider. Ca on sait faire !

DDS 186 laineIl y avait avec eux toutes leurs brebis ressuscitées. Leur laine avait repoussé et, au lieu d'être blanche, elle était devenue multicolore. Chaque épaule d'agneau était devenue un patchwork de fils de couleurs variées savamment emmêlés. Ils se mirent en file indienne et entreprirent de sauter par-dessus une haie.

- Compte nous !

Je les comptai et effectivement, je ne fis ni une, ni deux, je me rendormis.

Au matin, quand le radio-réveil se mit en route, j'entendis Françoise, déjà levée, qui pestait contre le chien :

- Une écharpe à 32 euros, complètement déchiquetée ! Décidément, Câline, tu fais tout pour qu'on te préfère les chats !

DDS 186 120304 032Mon dragon domestique allait encore venir me secouer les puces pour que je sorte de ce lit où je me sentais si bien. Je n'allais tout de même pas lui raconter ce dont j'avais rêvé pendant le reste de la nuit ! Parce que la fille du roi, son trikini à 129 euros, je crois que je lui avais fait subir un sort aussi peu enviable ! Qu'est-ce qu'elle était jolie la sirène de Silène ! Une rousse flamboyante ! Un vrai renard du désert ! Ce n'est pas toutes les nuits qu'on apprivoise un animal pareil ! Mmmh !

Et justement, en rejetant les draps, je l'aperçois. Le trikini en lambeaux est là, à la place qu'occupe d'habitude mon épouse. Je me rappelle alors la chanson « J'ai encore rêvé d'elle et j'ai rêvé si fort que les draps s'en souviennent » du groupe « Il était une fois ».

Si Françoise la voit, cette pièce de lingerie, ça va être le martyre toute la journée pour moi, car ma bergère, native du bélier – ça ne s'invente pas – est d'un naturel très jaloux.


C'est alors que je réagis. La femme que j'ai épousée ne s'appelle pas plus Françoise que je ne me prénomme Georges et, Câline ou pas, nous n'avons pas de chien, de chat ni de mouton chez nous. A part sous le lit peut-être. Et pourquoi est-ce qu'on aurait mis le réveil un dimanche ?

A ce moment-là, le réveil sonne et je me réveille réellement. Avec ce changement d'heure, je trouve qu'on est encore partis pour de beaux décalages !

[signé : Antoine de Saint-Exubêêêrant]

18 mars 2012

Un (autre) timbré ?

Timbre Joe Krapov

16 mars 2012

Une prétérition pour un rendu nul (Joe Krapov)

Plutôt que de vous livrer ceci...


Y avot ben des années que, ed Cambrai, tout ce qui n’étot pas euch cinéma et cheul comédie d’min couquer n’existot pus pour mi, quand un jour eud l’hiver, comme euj rintros à l’mason, eum mère, véyant qu’ j’avos fro, a’m’proposa eud prinde, contre em’n habitude, un tchio peu d’café. J’y dis non tout d’abord et pis, jé n’ sais nin pourquoi, jé m’ ravisos. Elle alla quer eune tartine avec du burre et du Maroilles eudzeur. Et ch’est là que, machinalemint, tout mat d’avoir traîné m’corée tout l’journée et in m’dijant qué d’main cha s’rot tout parèl, euj porto à m’bouc eune goutte eud jus d’ù qu ch’est qu’j’avos laissé ramollir un morceau dé m’tartine eud Maroilles. Mais à l’instant même d’ù qu’ min gorgeon d’chirloute mélingé à un morciau d’cheul tartine ed ’fromache i’ toucho min palais, euj berloquos su’m cayelle et pis j’sintis qu’i s’ passot quétcose d’extraordinaire in mi. Ej me sintos fin bien, là, tout seul ed’vint min berlafache, sins que j’sache trop pourquo.


120304 011... ou cela... 


« Tous les paradis sont à perdre,
Tous les paradis sont perdus.
- Marcel Proust ? Moi je lui dis « Merdre ! »
A décrété le père Ubu »


... j’ai préféré ne pas participer au Défi du samedi n° 185. Je n'avais pas envie de froisser les adorateurs et adoratrices du petit Marcel qui pourraient se trouver parmi vous.

- C'est raté, Joe Krapov !

- Comment ça ? Qu'est-ce qu'il fout là mon texte ? Pourquoi il est publié ?

- T'es tellement un homme d'habitude qu'hier soir à 20 h 48, pendant que tu nettoyais ta madeleine, le coup est parti tout seul : t'as posté !

- Ah ben ça, c'est trop fort ! Proust, alors !


10 mars 2012

LES CHAISES : PIECE EN UN ACTE POUR DEUX IONESCOGRIFFES par Joe Krapov

MIC 2012 03 05 chaises
Le premier type à la masse arrive. Il s'appelle Loreille, il est mince comme un clou. 
Le deuxième type à la masse le rejoint sur la scène, il s'appelle Lardu, il est beaucoup plus large d'épaules (et même de l'équateur). Lui est complètement marteau.

Ils déposent leurs masses, s'emparent des fauteuils et les disposent face au public. Puis ils se laissent tomber dedans de toute leur masse.

MIC 2012 03 05 masse

LOREILLE – Soit un monarquebuse dans un désarroyaume moyen-âgeuxnouillé où sévit un tyrannosauredure.

LARDU – Cet animalélevé se nourripaille de brebiscéphales et pour cela il rançocissonne les Robergers du coin sans que les autoritétanisées n'y roploplopposent grande résistance.

LOREILLE – Arrive le jour où l'Harpadragon devient plus intransexigeant et réclame de la progéninourriture. Les boules, tu vas voir ! Ca va devenir bêtàcornélien !

LARDU – Justement, en parlant de boules, on fait tourner celles du trémoloto pour savoir quel joujouvenceau ou quelle àdadamoiselle sera transformée en gigotetMillau et livrée aux appétyranniques du batramilicien outrecuidanseur.

LOREILLE – Patatras ! Le premier sacrifille sera celui de la princesse ! On l'apprête, on lui met une couronne de fleurs d'orangerdesvoitures, une robe de mavariée, on l'attache au rocher.

LARDU – Là-dessus arrive un chevafouàlier. Il s'appelle Georges de Lydda, il a un décimeterrifiant et avant de partir à l'assauterie il monnaie sa prestadigitation.

MIC 2012 03 05 st-georgesLOREILLE – Il met cette abscondition à son intermoulinàvention : quinze mille hommes seront adoubénis et Rubiconvertis à la religion que soutient Georges qui a à cœur de multiplier les croisés.

LARDU – Alorigami, il monte sur son chevaleureux caparacanasson, prend son élan et il file un coup de lancyolitique à l'Elliott nénesse du marésaccage. Surprise par cet assauvage, la bête cède puis bientôt trucidécède.

LOREILLE – Georges libère la princesse mais comme elle n'est pas du tout son genre, il repart vers de nouvelles avenforfaitures. Il sera arrêté plus tard, finira carbocanonisé et rejoindra la liste des nombreux zigomartyrs dont les noms sont inscrits dans le calendrier.

LARDU – Voilà, c'est fini.

LOREILLE - On traduit les mots-valises pour le public ?

LARDU – Ah non ! Je suis trop à la masse ! De toute façon, ces mots-là font partie des paroles qu'on ne devrait servir qu'une fois !

LOREILLE – Ah bon ? Pourquoi ?

LARDU – Tu sais ce qu'ils en feront les petits Bretons de tes traductions ? Il les Breizhoùblieront tout aussitôt !

LOREILLE – Bon, alors, du coup, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

LARDU – On lève le siège ! (Il se lève, prend le fauteuil, le retourne et le pose sur sa tête. Puis il prend sa masse. Loreille fait la même chose.).

LOREILLE – Où on va, maintenant ?

LARDU – On va au restaurant de l'oncle Camille. J'ai faim. Au menu aujourd'hui il y a Chateaubriand aux pommes frites.

LOREILLE – Miam !

(Ils sortent)


RIDEAU

 MIC 2012 03 05 masse

N.B. Ceci constitue le chapitre 6 (Mots-valises) de "99 dragons : exercices de style"

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9 mars 2012

Saint Georges et le dragon (Joe Krapov et Mademoiselle Zell)

Ce n'est sans doute pas une pépite mais cet objet-là, complètement hors normes, complètement unique, est si rare qu'il n'en existe qu'un seul exemplaire. Qui plus est, si vous ne l'enregistrez pas sur votre disque dur, il s'autodétruira dans trente jours !

Quant à savoir pourquoi il m'est si cher, pourquoi il n'a pas de prix à mes yeux, eh bien, sachez-le, c'est très... privé ! Disons que c'est aussi une histoire de roi et de princesse !

Pour télécharger et lire ce "zibouque", cliquez sur l'image ci-dessous

120301 009

 http://dl.free.fr/nSZBRxxXm

2 mars 2012

99 Dragons : exercices de style (Joe Krapov)

ACTE 1 SCENE 1

La scène représente une auberge à Silène en Libye en 300 après Jésus-Christ. Pierre, Bertrand et Jehan sont assis et consomment à une table tandis que l’aubergiste essuie les verres au fond du café en sifflant un air d’Edith Piaf. Entre Boucicaut, en larmes, coiffé d’un képi de légionnaire et sentant bon le sable chaud.

 

Bertrand – Hola, tavernier ! Mettez donc une cervoise de plus pour notre ami Boucicaut !

Boucicaut – Eh bien ça y est mes amis ! Nous voilà débarrassés du dragon ! Mais quand même ! Quand j’y repense ! (Il s’assied et se met à sangloter)

Pierre – Eh quoi, Boucicaut… Tu sembles bien regretter quelque chose !

Jehan – Peut-être bien qu’il est déçu par la tête du vainqueur du monstre. Ou surtout par le fait qu’il s’agit d’un étranger !

Bertrand – C’est vrai, ça la fiche mal qu’on n’ait pas été foutus, à nous tous, de conjurer le sort qui nous avait été jeté.

Boucicaut – Quand même … Bou ouh ouh !

DDS 183 Saint-Georges 3Jehan – J’aurais bien voulu t’y voir, toi, face à cette bestiole infernale ! Tous ceux qui s’en sont approchés pour l’affronter sont tombés inanimés, intoxiqués à cause de son haleine pestilentielle. Des monstres qui crachent des flammes, qui ont des griffes pointues, douze têtes qui repoussent une fois qu’on les a coupées, ça, moi, Môssieu, je te les estourbis en cinq secs quand tu veux. Mais qu’est-ce que tu veux faire contre un dragon qui empeste le Munster avancé et le fromage corse des maquis reculés ?

Pierre – C’est vrai que terrasser le dragon et dragouiller en terrasse, ce n’est pas la même chose ! N’empêche, l’étranger, lui, il a réussi !

Bertrand – Moi je dis qu’il a triché pour pouvoir épouser la fille du roi !

Boucicaut – Quand même ! Quand je repense à elle ! Bouh ouh ouh !

Jehan – Triché ? Comment ça !

Bertrand – Oui, il a triché, le Georges de Lydda dirladada ! D’abord son épée n’était pas de taille réglementaire ! Et puis ce signe, là, qu’il a fait. Si ce n’est pas de la magie noire, qu’est-ce que c’est ?

Jehan – C’est un signe de croix, idiot ! Et tu as intérêt à t’y habituer maintenant parce que tu vas le voir faire. Plus souvent ! pas qu’un peu !

Pierre – Magie noire, magie blanche…En tout cas, l’étranger, il nous en a débarrassés, de l’oppresseur.  On allait se retrouver sur la paille à lui  refourguer toutes nos brebis, nos agneaux, nos bestiaux et voilà qu’il exigeait nos enfants. Heureusement le sort est tombé sur la fille du roi.

Bertrand – En même temps, nos mouflets, pour la vie qu’on leur fait ! Autant qu’ils finissent là, au chaud !

Boucicaut – Bouh ! Ouh ! Ouh !

Pierre – Holà, tavernier ! Donne-lui tout de même à boire ! Et amène-nous la piste de 421 et les dés. On joue quelques sols, messeigneurs ?

Jehan – Ah non, Pierre ! C’est interdit, ça désormais !

Pierre – Comment ça, c’est interdit ?

Bertrand – Oublierais-tu que nous avons tous été baptisés avant le combat ? Nous nous sommes convertis à la religion des Chrétiens. Et celle-ci interdit les jeux d’argent.

DDS183giogiodechirico-saint-georgesPierre – On va quand même pas miser des haricots ? Maman m’a toujours interdit de jouer avec la nourriture. Il nous emmerde, ce Georges ! Ah ben zut alors mais  tu me la copieras, celle-là ! Les étrangers, quand ils sont plus de trois, déjà, ça me donne des boutons mais alors celui-là, à lui tout seul, bonjour les dégâts ! Tout ça pour que Dgeorges épouse la princesse au petit pois dans la tête, c’est trop fort.

Jehan – Il ne l’épousera pas.

Pierre – Ah bon ? Il va juste lui faire son affaire et se tirer ? Et le roi a accepté ça ?


Bertrand – Il est déjà reparti, le Georges. Il veut mourir au combat, tout seul face à l’artillerie, j’ai pas trop compris. Il veut se faire « canoniser », qu’il disait !

Boucicaut, redoublant de larmes - Cette pauvre Blanchette !

 (On entend au dehors les cloches qui sonnent.)

 Pierre – Qu’est-ce que c’est que ce boucan-là ?

Jehan – Ce sont les cloches. Il faut qu’on arrête tout et qu’on aille à la messe.

Pierre – A la quoi ?

Bertrand – A la messe. Viens, tu verras ! C’est un truc en latin, y’a un gazier qui cause, on y comprend rien, on chante, on se lève, on se rassied, c’est très reposant au total !

Pierre – Et… on est obligés d’y aller ?

Jehan – Eh ben ouais ! On a promis ! Maintenant qu’on est baptisés, faut tout faire comme eux !

(Ils se lèvent tous sauf Boucicaut toujours noyé dans son chagrin.)

Bertrand – Tu viens, Boucicaut ?

Boucicaut – Cette pauvre Blanchette ! Si seulement ce con était venu deux jours plus tôt, elle serait encore en vie !

(Et il reste effondré sur le guéridon de la taverne à pleurnicher de plus belle.)

Pierre : Qu’est-ce qu’il a avec sa Blanchette ? C’est sa fille ? Le dragon la lui a bouffée ? Ou alors sa femme ? Mais je ne savais pas qu’il était marié !

Jehan – C’est sa chèvre !

(Ils sortent.)

 

SCENE 2

 

Roger (c’est le comédien qui interpréte Boucicaut. Il relève la tête et s’adresse à Thierry, le metteur en scène qui est assis dans la salle) – Je ne comprends vraiment rien de rien à ton concept de mise en scène ! Pourquoi est-ce que je porte un képi, d’abord ? Ca se déroule en 300 après Jésus-Christ !

Thierry – Roger, tu es un légionnaire romain qui a déserté !

Roger – En emportant le képi ?

Thierry – Le personnage est un grand sentimental, au cas où tu n’aurais pas remarqué !

Roger – Mais c’est complètement anachronique ! Les Romains portaient des casques à l’époque ! Et ce décor de machines à coudre et de phonographes, typiquement années 1950, qu’est-ce que ça vient faire là ?

Thierry – Roger ? Tu te rappelles le titre de la pièce ?

Roger – « 99 dragons, exercices de style ». Ca a à voir ?

Thierry – Ca a à voir ! Les exercices de style, c’est un livre de Raymond Queneau, un auteur qui a eu son heure de gloire au siècle dernier. Comme toi . Sauf que lui il est mort et que toi tu joues les prolongations ! L’auteur de cette pièce-ci a entrepris d’écrire 99 versions de la légende de Saint-Georges tuant le dragon en reprenant la formule de Queneau, une même histoire racontée de 99 manières différentes.

Roger – Mais alors… Pourquoi les personnages portent-ils les prénoms des compagnons de Thierry la Fronde ?

Thierry – Bon, tu nous fais perdre du temps. Va rejoindre les autres et appelle Judas pour la scène 2

 Roger sort

 Thierry, à part – Lui, quand il a commencé à jouer au théâtre, les décors étaient de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell ! Et je commence à comprendre pourquoi il n’a jamais été ne serait-ce que nominé au Molière des lumières !

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1 mars 2012

MON AMANT DE SAINTE-GENEVIEVE par Joe Krapov

Avant de partir à son rendez-vous, Henri est passé dans l'atelier où son épouse Camille met la main à sa dernière sculpture : une caricature en pied d'une femme écrivain quelque peu extravagante.

- Merde, monsieur Labrouste !
- Merci, ma chérie. Ca n'est jamais gagné d'avance et c'est toujours très éprouvant de passer une telle épreuve après tout ce travail accompli.
Il l'embrasse et sort.

***

- La poutrelle de fer monte à l'assaut du ciel et symbolise l'aspiration humaine à s'élever par la connaissance, par le regard qu'on pose autour de soi pour s'inspirer de ceux qui nous ont précédés. C'est pourquoi les livres sont disposés tout autour de la salle. A l'exception des lampes, d'un joli vert opaline, vous avez remarqué ?...

MIC 2012 02 27 Salle_de_lecture_Bibliotheque_Sainte-Genevieve_n01

Est-ce bien la peine, Henri, se demande-t-il, de faire du gringue à ces deux dames à l'air revêche ? Tu sens bien que depuis le début de ta prestation quelque chose cloche et pas seulement leurs chapeaux ! Elles ont l'air de tiquer sur quelque chose, mais quoi ? Peut-être la décision définitive du choix de l'architecte sera-t-elle prise par les deux représentants de sexe masculin de ce jury très sérieux. Le petit rondouillard a l'air d'être le Président de l'Université, celui qui tient les finances dans la bande.

-... les tables sont présentées nues. On peut y asseoir seize étudiants de chaque côté. Un esprit de saine émulation devrait naître de ces côtoiements de futurs savants de toutes disciplines. La lumière entre dans la salle par des verrières latérales en forme de demi-lunes. Maintenant je vais vous présenter le plan en coupe de la salle des catalogues que j'ai installé dans une crypte au sous-sol de cette bibliothèque.
- Pas la peine, monsieur Labrouste. Votre conception du bâtiment ne conviendra pas à nos étudiants.
- Pourtant, le plan de circulation, le bureau des bibliothécaires...
- C'est très bien, nous n'en disconvenons pas mais ce que vous nous présentez là n'est pas un learning center.
- Un... quoi ?
- Un learning center. C'est un concept un peu nouveau. Il n'y a pas d'équivalent en français mais c'est ce type de lieu que nous cherchons à mettre en place. Non pas une bibliothèque mais un lieu de vie. L'équipement doit être fonctionnel et stimulant, évolutif et de qualité. Il y a un travail à mener sur les 3 C : Competence, Commitment and Confidence. L'essentiel du projet tient dans la diversité des missions que l'on se donne (orientation, échanges internationaux, insertion professionnelle, pédagogie, détente, petite restauration, etc.).
- La documentation est électronique, immatérielle, les cours sont donnés en non-présentiel. Le papier disparaît. Vous connaissez les tablettes ?
- Celles sur lesquelles on a découvert l'écriture cunéiforme ?
- Non, les tablettes numériques, les liseuses. Des bornes wifi suffisent désormais, des salles d'immersion pour recevoir les cours dispensés à distance.
- Le learning center doit permettre aux étudiants de se restaurer, de se reposer, de se défouler or il n'y a aucun couloir à glissades dans votre projet. Pas de distributeur de barres chocolatées ou de croissants au beurre. Rien n'est prévu pour l'achat de boissons gazeuses ou de café.
- Mais... les taches sur les manuscrits précieux..., bredouille l'architecte désarçonné.

Il lui semble que ce nouveau discours dans une autre langue que la sienne est en train de détruire tout ce qu'il s'apprêtait à faire !

- Aucune télé ! Pas même un baby foot ! Pas de stands d'information ni de salle pour des animations ponctuelles. Pas de fumoir !
- Mais... fumer est interdit dans les lieux publics !
- Comme il n'y a plus de livres, il n'y a plus de risques d'incendies ! On peut bien laisser les étudiants fumer ! ca ne gêne personne qu'eux-mêmes.
- Mais... le personnel...
- Il y a peu de personnel dans un learning center. Comme il n'y a plus de collections, il n'y a plus rien à voler. Plus d'encyclopédies à découper !
- Mais alors, vous, mesdames, qu'allez-vous devenir dans ce contexte ? N'êtes-vous pas en train de scier la branche sur laquelle vous êtes assises ?
- Nous, on fera comme aujourd'hui. On leur dira où sont les toilettes et on leur expliquera que le l'Ascension ou le 1er mai sont des jours fériés et donc, non, le learning center n'est pas ouvert ce jour-là.
- Encore que la notion de fête religieuse, elle non plus, d'ici peu, n'aura plus beaucoup de sens !
- Par contre, la localisation des toilettes, il faut toujours y revenir. C'est un fondemental. Pardon, un fondamental.
- Vous pouvez remballer vos documents, monsieur Labrouste. Nous allons recevoir le candidat suivant.
- Attendez, mesdames, messieurs, je viens de comprendre. J'ai autre chose à vous proposer...
- Quoi donc ?

***

- Alors, chéri, ta journée s'est bien passée ?, demande Camille
- Holala ! Si tu savais comme c'était mal parti, mon amour ! Heureusement, grâce à toi, j'ai eu l'idée du siècle !
- Allons bon ! Raconte-moi cela !
- C'est terrible, Camille comme le temps détruit tout ce qui est fait. Nos savoirs, nos conceptions, nos perceptions, nos mœurs. J'ai dû tout jeter aux orties et tout changer ! Le savais-tu, toi qu'une bibliothèque, maintenant, cela doit être comme un complexe cinématographique du genre du Gaumont où l'on te vend des pop-corns, des sodas, des esquimaux, des cochonneries, tout ce que tu veux et même, accessoirement, des billets de cinéma ?
- Tu sais moi, plus rien ne m'étonne aujourd'hui !
- On appelle ça un learning center. Eh bien je viens d'en créer un ex nihilo ! En une après-midi. Il m'a suffi de sortir toutes mes tables, mes chaises et mes livres de ma bibliothèque !
- Par quoi les as-tu remplacés ?
- Par rien ! J'en ai fait un hall de gare vide avec des poufs à billes partout et 4 cabines téléphoniques anglaises.
- Des cabines téléphoniques ? A l'heure du portable ?
- Elles sont vides mes cabines. Elles servent aux quelques derniers étudiants pudiques ou aux espions chinois qui téléchargent comme des bêtes sur les campus français. Ils viendront s'y enfermer avec leur portable quand ils voudront éviter qu'on entende leur conversation. Mais le mieux, c'est la crypte, le sous-sol !
- Tu n'y mets plus les catalogues ?
- Non ! J'y mets des lits d'hôpital et des lits clos bretons à deux ou quatre places. Et le clou de la fête, celui qui va te faire profiter de l'aubaine : je t'achète ton Amélie. Ta dernière sculpture, celle avec le chapeau.
- Que vas-tu en faire, d'Amélie Nothomb !
- Une dame pipi virtuelle, juste à l'entrée des toilettes ! Alors ça, ça leur a plu aux deux types ! Que je supprime le dernier poste de personnel dans ce learning center ! Tu aurais vu la stupeur et les tremblements des deux autres nanas !
- C'est dommage quand même, je l'aimais bien cette image de bibliothèque !
- Allez chérie, apprends à dire « learning center ». Les bibliothèques, c'est comme dans la chanson « Mon amant de Sainte-Geneviève » : c'est du passé, n'en parlons plus !

MIC 2012 02 27 nothomb

(photo AFP)

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