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Le cahier de brouillon de Joe Krapov
29 juin 2014

L'Olympia (c') est difficile !

Je n’aime pas quand Halévy arrive avec des sujets comme ça ! Est-ce que c’est bien sérieux de me demander à moi, Henry Meilhac, librettiste pas triste, d’écrire des chansons, drôles ou pas, à partir d’éléments biographiques aussi insipides ? D’abord, où a-t-il dégoté cette pièce de Jules Barbier ? Qui c’est ce mec inconnu au bataillon ? Et qu’est-ce que c’est que cette histoire de pimbêche à qui les hommes amoureux d’elle ne plaisent jamais ? Pourquoi pas, tant qu’à faire, les aventures d’une prostituée tuberculeuse ? Je ne sais pas s’il se rend compte, Ludovic, que je ne vais pas pouvoir pondre d’un seul jet des couplets qui plairont à Offenbach pour ses « Comptes d’Ophwoman » à partir de cette matière-là. Jugez par vous-même :

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- Le premier soupirant d’Olympia fut un aspirant de marine qui avait besoin d’aspirine car, trop porté sur la bouteille, il trouvait bien souvent duraille de devoir faire des merveilles pour être à la hauteur des désirs du bas-bleu dont il visait les épousailles. Peu enclin aux trouvailles et mal armé pour la rimaille il passait par le soupirail pour aller dans la cave boire le jus de la treille conservé en flacons. Le beau-père potentiel apprécia peu cette intrusion par passion et ces penchants pour la boisson. La jeune fille non plus. On rompit les fiançailles.

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Au suivant ! Le deuxième plut beaucoup à Madame Coquatrix. Elle le trouvait au poil et il s’en fallut d’un cheveu que ce prétendant fût le bon. Mais Olympia ne goûta pas l’idée de devenir épouse d’un botaniste hyper-barbu qui menait au Museum d’histoire naturelle des recherches sur les plantes carnivores. Il rêvait de devenir le singe de son service mais comme seul argument de cette ambition-là il n’avait à offrir qu’une pilosité abondante et sa propension à ramener du travail à la maison. Les plantes qui prennent la mouche, faut aimer.Qui plus est, tout comme Henri IV, l’homme embaumait l’ail à trois pas. Rien de tel pour déboulonner l’idole. La jeune fille mit fin à l’’idylle.

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Jamais deux sans trois. Il y eut ensuite le peintre de Toulouse, petit, mal embouché et chameau sur les bords. Un bosseur bossu et iconoclaste. On découvrit d’après certains cancans qu’il était fort goulu de femmes de mauvaise vie et qu’il avait vécu autrefois à Montmartre dans une maison close. San compter qu’il commit maintes folies avec plusieurs bergères. La famille Coquatrix ne tenait pas à ce qu’Olympia s’acoquinquinât avec ce pratiquant forcené du jeu de la bête à deux dos. Il devint, le rapin de Toulouse, l’autre ex.

Le balcon de Manet-Magritte

Avec le quatrième de ses prétendants, on faillit acquérir des quartiers de noblesse. Il s’agissait en effet de Pierre-Igor de Talleyrand, marquis de Confitdoie et apparenté à la mode de Bretagne avec Charles-Maurice le très connu ministre de Napoléon 1er. Malheureusement, tout comme son parent, Pierre-Igor était né avec une jambe de bois et ainsi que lui traitait toute la gent féminine de « mère d’en bas de soi ». Cet appariement avec un boiteux à langage peu châtié partait d’un trop mauvais pied pour qu’on pût cheminer longtemps ensemble. "De toute façon, commenta Olympia, vos velléités de mariage, ça commence à me faire une belle jambe, espèce de bande de casse-pieds !"

 

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Là-dessus, comble du désespoir pour les parents de la jeune fille incasable, la jeune demoiselle s’enfuit avec un musicien pour aller élever des chèvres au Larzac, poser nue pour des peintres de passage et même déjeuner sur l’herbe en petite tenue parmi des messieurs habillés. Quel scandale ! Mais c’est qu’on est rendu en mai 1868, voyez-vous ? Vois-tu Henry ce qu’on peut tirer de couplets pour ces « Comptes d’Ophwoman » ?

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Olympia

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Je me suis mis au travail dès le lendemain et j’ai d’abord pondu une gwerz, une espèce de lamentation bretonne sur la douleur des familles bourgeoise qui ont du mal à caser leur progéniture ou voient leurs valeurs voler en éclats avec le développement de la société industrielle et la montée de l’Impressionisme. Et puis le soir j’ai dit Basta ! Offenbach trouvera bien quelqu’un d’autre pour adapter cette histoire stupide. Je renonce. Pour ne pas perdre complètement ma journée d’écriture, j’ai torché à la va-vite un chant de marin à ma façon sur le sujet. C’est évidemment incasable, personne n’en fera jamais rien mais bon je ne sais pas si vous avez remarqué mais Halévy et moi, on a besoin de vacances !

 

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N.B. Effectivement, c’est Jules Barbier qui adapta lui-même sa pièce pour donner naissance, en modifiant le titre et l’intrigue, à l’opéra le plus fantastique qu’on connaisse d’Offenbach : « Les contes d’Hoffmann ».

Quant à la chansonnette non signée d’Henri Meilhac, elle connut elle aussi une certaine postérité. La preuve : elle est encore aujourd’hui inscrite au répertoire ! Au répertoire du Club des 5 !

 

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27 juin 2014

Légende urbaine de la campagne et java bleue avec chapeaux (Joe Krapov)

Edinburgh, le 24 juin 2014, de notre envoyé spécial :

DDS 304 Monstre du lac

Un drame affreux a failli se dérouler tout au fond du Loch Ness où une équipe de scientifiques de l’Université de Rennes 3 opérait des recherches autour du soi-disant « monstre » qui sévirait ou aurait sévi par ici.

Deux hommes-grenouilles se sont en effet violemment querellés en cours de mission sous-marine. D’après les premiers éléments recueillis auprès du commissariat de Drumnadrochit il s’agirait – Ah, ces Froggies ! - d’une rivalité amoureuse qui aurait pu très mal tourner si le professeur Denis D'Eglise-Trouée, responsable de l’expédition, n’avait pas fait appel à la brigade internautique locale commandée par Mlle Imogène Mc Carthery.

Nos agents ont fourré les deux Frenchies au bloc au motif d’envoi de pêches en eau trouble. On peut donc affirmer sans aucune Nessie-tation que le « monstre du lac » court toujours mais que l’aura négative qu’il projette sur notre pays a encore fait des victimes.

Il n’y aurait pas là de quoi en faire tout un plat si quelques membres facétieux de cette université de Rennes 3 n’avaient tiré de cet incident une chanson qui tourne sur les campus et fait un carton (-pâte) monstre sur Youtube. 

N.B. "La Java des hommes-grenouilles" est une oeuvre du formidable Ricet Barrier.

22 juin 2014

Gasp ! par Joe Krapov

Les idées fausses sont toutes mauvaises pour l’estomac mais pas pour l’imagination ni pour le rire.

MIC 2014 06 16 Livia, 1948 by Frederick Sommer

On s’est dit qu’on ne risquait rien à accepter les trois éclairs au chocolat que la gamine a posés comme enjeu de la partie. Comme on est soi-même féru des « Chiffres et des lettres » depuis de longues années, au point d’avoir correspondu un temps avec les animateurs de l’émission, et qu’on pratique encore, ici et là, des jeux d’écriture littéraire et des additions de factures à la pelle, on pense qu’on ne fera qu’une bouchée de la pitchounette à tresses blondes et qu’on lui offrira un cachou et un verre de limonade en guise de lot de consolation. La victoire servie d’avance sur un plateau quoi !

 

D’ailleurs, bien qu’elle se soit bien défendue, celui-ci est presque rempli par les mots croisés et on a 32 points d’avance.

 

C’est alors que Livia prend les quatre derniers petits bouts de plastiques sur son présentoir et, couvrant la dernière case rouge du quadrillage elle pose « KIWI ». 22 x 3 = 66 !

 

Et le sac est vide ! Je suis obligé de déduire de mon total le G, le A, le S et le P que je n’ai pas pu poser sur le plateau de Scrabble ! Direction la pâtisserie !

 

Quand je pense que d’ici quelques années de jeunes godelureaux de la cité universitaire, séduits par le bleu profond de ses yeux et la blondeur de sa chevelure, lui proposeront des parties de strip poker, je ris d’avance ! Avec Livia, vous allez vite vous retrouver à poil dans un tonneau, les gars !

 

MIC 2014 06 16 le_tonneau_de_tequila

 

13 juin 2014

Hallucination auditive (Joe Krapov)

J'hallucine ou quoi ? Je le croate pas, ça !!!

Voilà que je chante en serbo-croate ? en bosniaque ?  en yougoslave !

Et ces bâtiments aux formes bizarres qui m'entourent ? Où suis-je ? 

Qu'est-ce qu'on a renversé sur ma moquette ? Au secours, j'hallucine !

 

11 juin 2014

Bienvenue à New-York, Marcel S. !

J’ai passé une excellente soirée mais ce n’était pas celle-ci. Et pour cause !


Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Je vais vous dire : c’était que du bonheur ! C’était comme de gagner un match à la maison. En effet, parfois, à peine ma bougie éteinte, - merci infiniment, Mââm Bougie ! - mes yeux se fermaient si vite que je n'avais pas le temps de rebondir et de me dire : « On vient de l’apprendre, les paupières du petit Marcel étaient lourdes, j’ai le sentiment que ça vient de tomber et même que, trop fort, ne bougez pas, le voilà qui s’endort ! ».


Et, une demi-heure après, vraiment du grand n’importe quoi, la pensée improbable qu'il était temps de chercher le sommeil, ou pas, m'éveillait. Surréaliste de chez surréaliste.


Je voulais poser le volume que je croyais avoir dans les mains et j’étais plutôt d’accord pour souffler ma lumière. Voilà, quoi. Mais c’était énorme comme je n'avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, trop de la balle, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier, tout à fait même. Enfin un vrai couac, le fameux truc décalé qui permet de revisiter grave le difficile quotidien, ou pas.


J’hallucinais. Il me semblait que j'étais moi-même ce dont parlait l'ouvrage : le très attendu jeune loup de la politique qui viendrait à bout du vieux lion, ou pas, l’église incontournable qui nécessitait l’arrêt sur la route des vacances car c’est dans l’ADN du photographe, c’est clair, de ne pas respecter la moyenne, le dernier des grands quatuors d’Arnold Schönberg, la rivalité au bras de fer de François Ier et de Charles-Quint. Fallait-il avoir peur de ce coup de calcaire ?


Cette croyance improbable survivait pendant quelques secondes à mon réveil. Elle était comme une jeune femme pleine de fraîcheur qui donnait le la aux musiciens et au chef d’orchestre du très attendu sommeil. Elle ne choquait pas ma raison, mais voilà, quoi : elle pesait comme des écailles sur mes yeux. C’était trop too much. Elle les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n'était plus allumé. Puis dans l’entourage du metteur en scène de « Revoir sa copie » elle commençait à me devenir tout à fait inintelligible, comme après la métempsycose les pensées d'une existence antérieure se posent là où j’ai mon doigt, ou pas.


Au chevet de Bouddha où une foule anonyme, on vient de l’apprendre, se pressait, le sujet du livre se détachait de moi, j'étais libre de m'y appliquer ou non, ou pas. J’adorais ce côté décalé et en même temps je sentais monter la grogne au créneau. Aussitôt je recouvrais la vue et j'étais bien étonné de trouver autour de moi la fameuse obscurité qui reprenait la main, douce et reposante, c’est clair, pour mes yeux, mais voilà quoi, peut-être plus encore, j’ai envie de vous demander si vous vous en doutiez, pour mon esprit.


Faut-il avoir peur de l’écrire ? L’obscurité apparaissait pianissimo comme une chose sans cause, incompréhensible, surréaliste, du grand n’importe quoi, voilà, en effet, comme une chose vraiment obscure. Bref, un vrai no man’s land.

Je me demandais quelle heure il pouvait être, ou pas. J'entendais grave le sifflement des trains – Merci infiniment, le sifflement ! - qui, plus ou moins éloigné, - c’est dans son ADN, ne bougez pas ! - comme le chant d'un oiseau dans une forêt tout à fait revisitée à la maison, relevant les distances, me décrivait l'étendue incontournable de la campagne trop déserte de chez Yapersonne où le très attendu voyageur se hâte comme le dernier des grands explorateurs vers la station prochaine, pleine de fraîcheur et le petit chemin qu'il suit va être gravé grave dans son souvenir par l'excitation qu'il doit, comme vous le savez, à des lieux nouveaux – enfin un vrai endroit qui me botte depuis Sète !- , à des actes, voilà quoi, c’est clair, inaccoutumés, j’ai envie de dire aussi à la causerie récente et aux adieux trop glauques sous la fameuse lampe étrangère qui le suivent encore dans l’entourage de la lune et dans le silence de la nuit, à la douceur prochaine du très attendu retour qui, on vient de l’apprendre, est éternel, ou pas.

J'appuyais tendrement mes joues incontournables contre les belles joues improbables de l'oreiller qui, pleines et fraîches, que du bonheur, sont comme les joues de notre enfance, c’est énorme, à la maison. J’avais envie de demander l’heure, mais j’avais le sentiment que vous n’étiez pas là alors voilà quoi, je frottais une allumette pour reprendre la main et regarder ma montre.

Ne bougez-pas ! Trop nul ! Gravosse de chez gravosse ! J’hallucinais béton ! C’était bientôt juste minuit.

MIC 2014 06 09 New-York

C'était l'instant où le dernier des grands malades, qui a été tout à fait obligé de partir en voyage sur un coup de tête et a dû coucher dans un hôtel inconnu de New-York, réveillé par une crise, se réjouit en apercevant sous la porte une raie de jour. C’est trop de la balle ! Que du bonheur ! C'est déjà, merci infiniment, énorme, le matin !

Dans un moment les domestiques seront levés, c’est clair et il a le sentiment qu’il pourra sonner, et qu’une jeune femme noire viendra lui porter secours. L'espérance d'être soulagé fait qu’il va reprendre la main, lui sauter dessus, ce sera du grand n’importe quoi mais c’est dans son ADN, un coup de sang incontournable.

Faut-il avoir peur de l’improbable ? Bien sûr que non sinon on reverrait tout le temps sa copie et on ne monterait jamais au créneau, c’est clair. Après que j’ai eu rêvé, ou pas, cela, les flics m’ont arrêté à l’aéroport. Trop énorme !

J’ai passé une excellente soirée mais ce n’était pas celle-ci. Là c’est trop un cauchemar sur toute la ligne, foi de Marcel Stroskane ! Proust alors !

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5 juin 2014

La cure de repos d'Isaure

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Situé en lisière d’un bois, l'hôpital psychiatrique était un vaste complexe gris comme notre immeuble. La procédure d’admission dans l’établissement fut relativement simple. On enregistra son nom et son prénom, Chassériau Isaure, sa date de naissance, 1er avril 1818 et les raisons de son admission pour une cure de repos : « hallucinations inexplicables ». On lui donna une chambre agréable avec une fenêtre sans barreaux. Elle se mit tout de suite à la fenêtre, contempla l'immensité bleue du ciel et ne rêva plus de sortir pour partir à la recherche de « sa ville idéale».

Dans un cahier à petits carreaux, elle se mit à noter ses rêves, à parler de ce monde à elle qui l’avait envahie et lui avait fait perdre le sens des convenances nécessaires à la vie bourgeoise en cet an de grâce 1845. Dans le premier cahier elle parle d’un établissement nommé « Le vieux Saint-Etienne », sis rue de Dinan dans une ville nommée Rennes-en-Délires. Derrière le comptoir de ce mastroquet imaginaire, il y avait le patron, un type nommé Camille Cinq-Sens, son « oncle », chez qui passer un samedi sans rire relevait du défi pur et simple. Là en effet se réunissaient de drôles de clients qui jouaient aux cartes en philosophant à haute voix sous forme de « brèves de comptoir » ou de dialogues plus ou moins absurdes.

- Il ne faut pas oublier que dans « Brèves de comptoir, il y a « toir » !
- Et il faut songer que c’est hasardeux d’aller à Thouars !
- J’y suis allé, moi, l’année où j’ai participé au Festival des jeux de Parthenay. Il y avait une jolie fontaine à laquelle il ne fallait pas dire « je ne boirai pas deux tonneaux ».
- Tout ça, c’est une histoire de capacité. Pour un poète ne pas avoir de capacité en droit est moins gênant qu’avoir une incapacité en vers !
- Et contre tous !

D’autres fois Camille Cinq-Sens, Jacques-Henri Casanova et Jean-Emile Rabatjoie s’asseyaient autour d’une table et découpaient des images dans des magazines illustrés.

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- Encore un que les clients du coiffeur ne liront pas, disait l’un en jetant le périodique désossé dans la grande corbeille amenée à cet effet !
- Ils ne risqueront pas, c’est un « Télérama ». Je l’ai piqué chez le dentiste.
- Dis donc, il y a longtemps qu’on n’a rien découpé avec les carrés verts ?
- Ah oui, le jeu des douze images en 4x4 ! Mais ça c’est pour écrire et là vous découpez pour que je puisse faire des collages.

D’autres jours, il y avait des animations musicales dans l’établissement. Un guitariste et un accordéoniste venaient s’exciter sur « La Java bleue », « Tel qu’il est » ou « Quitte-moi pendant la coupe du monde » et sur leurs instruments respectifs tandis que deux chanteuses blondes et une rousse papotaient plus qu’elles ne vocalisaient. De toute façon les deux musiciens russes, Krapov et Kaïrakovsky, n’en finissaient jamais de ne pas se mettre d’accord sur la tonalité du morceau, le nombre de croches que le pianiste à bretelles modifiait sur la partition commise par le gratteux à ceinture sur Noteworthy Composer.
- C’est des noires ! Rechante- le pour voir!
- Chanter c’est pour écouter, c’est pas pour voir !

Cette équipe-là, plus jeune, avait un travail et de ce fait ils semblaient plus épuisés et épuisants que les papys découpeurs et fendeurs de cœur.
- Un jour, je serai libre à jamais ! lançait parfois Joe Krapov. J'ai fait tout le chemin qui va de l'école au collège, du collège au lycée, du lycée à la fac, de la fac au travail, j'ai changé plusieurs fois de boîte et pour la première fois on me laissera sortir pour ne plus revenir. Je ne sais pas ce que j'aurai gagné. Un aller simple pour un voyage chez Kirikou l'Ankou ? Le droit de réécrire en phrases courtes la « Recherche du Temps perdu » ? Ou le plaisir du temps retrouvé et des apprentissages aussi tardifs que les vendanges ? Apprendre la sculpture, le dessin animé image par image avec des statuettes en pâte à modeler, faire du théâtre et jouer avec une robe et des chaussures à talons hauts un rôle travesti ? J’ai toujours rêvé d’interpréter le répertoire de Fréhel avec une perruque de Sabine Azéma, un collier de perles et du rouge aux lèvres !
- Maintenant que ce sont des femmes à barbe qui remportent le concours de chant de l’Eurovision, tu peux faire ce que tu veux, tu ne surprendras plus personne ! De toute façon, en Ille-et-Vilaine, tout le monde s’en fout de la musique. Le plus important, c’est de bagouler avec sa voisine et avec une galette-saucisse à la main !
- Je sais ! Je sais ! Je sais que je ne suis pas là pour surprendre le monde mais j’avoue que le monde, lui, me surprend ! Avant on avait le droit de cracher dans la soupe : elle était vraiment mauvaise. Maintenant il n’y en a plus assez pour tout le monde et plus personne ne dit rien. Pire que ça, les gens s’en vont élire des cracheurs professionnels qui seront payés onze mille euros par mois pour foutre le feu à la cuisine !
- Arrête donc de parler de tes glaires, Krapov, on va passer à table d’ici peu, nous ! l’interrompt Camille.
- C’est sûr qu’avant, c’était mieux, commente Kaïrakovsky. Je me souviens que Gabriel, mon frère, piquait des pinces à linge à maman. Il s'en servait pour attacher un bout de carton sur le cadre de son vélo. A chaque tour de roue, cela faisait un bruit de pétarade. Il jouait à faire de la mobylette en gueulant par-dessus ça comme un Apache jusqu'au carrefour. Mais c'est vrai qu'on est devenus tous un peu fous depuis la disparition d'Isaure Chassériau.
- La dernière fois qu'on a eu de ses nouvelles elle était dans le petit village de pêcheurs de Trentemoult, près de Nantes.
- Est-ce qu’elle s’habillait toujours en rose ?
- Paraîtrait que non.

L’oncle Camille s’immisçait volontiers dans la conversation du Club des cinq.

- Avant ça, il y a d'abord eu un autre événement, majeur, primordial en ce qui nous concerne. Nous avons refusé de lire « La Bicyclette bleue » et nous avons préféré fréquenter les filles des forges, dont la fameuse Régine, celle qui avait un boa. Il faut toujours préférer la vie aux livres car les jouissances sont plus diverses et l’exercice ça ne fait pas plus de mal aux gens que de manger cinq fruits ou légumes par jour, même si chez nous c’était plutôt bidoche, patates et charcutaille, histoire d’alimenter sans le savoir notre taux de cholestérock’n’roll !
- Moi je n’en ai pas eu longtemps de cette maladie-là ! répond Krapov. J’ai supprimé le beurre et l’argent du beurre c’est Marina B. qui le dépense quand elle promène son QI sur les remparts de Varsovie ou son quant-à-soi sur les ramblas de Barcelone. Mais c’est vrai, quand Isaure est partie de chez nous, j’ai bien profité de ses archives pour alimenter un site web nommé Rennes-en-Délires. Il fallait faire montre de fantaisie, visiter la cité avec un regard neuf, y piocher de quoi rire ou sourire, réécrire l'histoire de cette ville d'art et de bizarre qu’est Rennes.

***

Isaure neige

Elle prit vite ses habitudes à l’hôpital. Le personnel était gentil et l’effet des cachets qu’on lui donnait ne se faisait sentir que le soir. Comme si, dans la journée, les infirmières s’étaient trompées de médicament. Ou bien, comme quand, après une longue marche, on a les endorphines qui travaillent encore et on se sent prêt à embrayer sur un autre exercice physique.

Comment se faisait-il qu’elle soit autant inspirée ? Au fil des jours les cahiers, car il lui en fallut plusieurs, se remplissaient. D’où venaient tous ces personnages bavards qui coupaient la parole à sa plume, avec lesquels elle semblait tout à fait complice alors que d’habitude, le regard presque éteint, l’apparence toujours réservée, elle semblait posée là, discrète et immobile, comme une cousine de province en visite à Paris, comme si elle était habitée par la peur de déranger un grain de poussière de la surface du monde, comme si elle veillait à ce que, du bouquet d’églantines de sa coiffure, aucune fleur ne tombât jamais ?

- J’ai la réponse, ricanait l’oncle Camille. C’est comme quand ils m’ont donné du Fludex pour mon hypertension. C’était marqué sur la notice ! Ca faisait le même effet que l’EPO en intraveineuse à un cycliste qui planque du fric en Suisse et qui regarde le Tourmalet et Isaac et l’Aubisque de homard les yeux dans les yeux en disant que, sans mentir, c’est Zigomar et Pussomar qui m’ont tuer ! Tes cachets, ma pauvre Isaure, ce sont eux qui font tout le boulot ! Comme le chapeau d’Amélie Nothomb. Retire-le lui et il n’y a plus d’écrivaine. Ou comme celui de Neil Young ! A croire qu’ils dorment avec la nuit ! Des chapeaux de magiciens dont il sort des lapins à profusion et certains ne valent pas un pet.
- Putain ! Et il s’y connaît l’oncle en cuniculiculture !
- En même temps, dit une des deux blondes, ca doit pas être top d’épouser un presti-digi-tâteur ! On ne doit avoir droit qu’à des coïts furtifs !

Fallait-il y voir un signe du destin? Lorsque la nuit tombait les nuages s'assombrissaient, leurs formes devenaient inquiétantes et un enfant apeuré ou un être trop imaginatif y auraient vu peut-être 99 dragons aux aguets attendant Saint-Georges de pied ferme, la gueule prête à cracher le feu. Quand ses paupières devenaient lourdes, Isaure, apaisée, sereine, reposait la plume dans l’encrier et allait se mettre au lit. Elle s’endormait alors très vite et toutes les nuits, elle rêvait qu’elle allait visiter un musée. Elle passait devant une chasse au tigre, des oiseaux hollandais, une jeune mère et son nouveau-né, une scène biblique et lorsqu’elle arrivait devant le tableau ovale avec le magasin de magie, elle entrait dans le tableau, poussait la porte  et elle oubliait tout.

 

DDS 301 isaure et la boutique de magie

5 juin 2014

Ah ! Dieu, veaux, vaches cochons, libérés qui s'envolent !

Lorsque les vaches volent, Djamel se gare des bouses. Elles pleuvent par douze, s’amassent en monceaux, atterrissent en rond et dans le saint des saints de ce cercle d’initiées les nouveaux religieux de l’ordre du Tartuffe viennent caresser l’espoir que poussera ici l’aiguille du Midi.

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L’aiguille du midi, c’est l’heure du maçon. J’écris alors au fil à plomb, avec un vil aplomb, des histoires verticales sur les murs de la ville. Le passant peu pressé s’arrête, lit mes bêtises et se gondole comme Sheila et Ringo à Venise. Il lui pousse au thorax un maillot à rayures et, sur sa tête hilare, un beau chapeau de paille avec un ruban rouge. L’Eglise Notre-Dame devient un campanile qui penche pour la solution de faciliftée et la Vilaine se refait une beauté en détournant son cours vers celui de la lyre ou plutôt de la lire car on y est revenus depuis que la nymphe Europe fait de l’œil aux taureaux de son beau regard franc aux lignes bleues des Vosges. Midi c’est l’heure de casser la croûte pour le maçon mais pour cent bricks, tu n’as plus rien comme bateau sinon ceux de papier que tu peux fabriquer si tu as retenu les schémas de l’enfance.

Justement, la vieillesse c’est quand tu t’aperçois que tes souvenirs d’enfance n’intéressent plus personne, que Cyrille Guimard n’a jamais décroché son doctorat d’espoir et qu’on ne te volera pas le vélo à son nom, pas plus qu’un Poulidor, car il ne fait pas bon arriver en second au pays où les loups portent des masques d’homme, voyagent en avion, abattent des forêts pour pousser leurs camions. Les arbres explosent en silence, tous les Chinois rêvent d’un carrosse à défaut de trouver une Chinoise à leurs pieds car ils ont trop serré le numérus clausus et ne croient pas au Père Noël.

Le temps s’arrache, inexorable, de la machine à lover et le tambour s’attache à délaver l’inessorable, à blanchir le persil des narines, à coller des pains à l’azyme glouton, à réduire les bonus sans nous faire de cadeaux sauf à Arielle Dombasle que j’échangerais bien contre deux barils de poudre d’escampette quand elle chante ou quand BHL trompette. Direction un pays de cathédrales folles, de vaisselle cassée, de montres molles, de maisons sans lignes droites, de fenêtres monstrueuses pour dévorer l’ado qui ne sort plus de sa turne.

Thabor compo

Direction le parc du Thabor ! Je promène un jardin au bout d’un baluchon, je capture des ailes d’anges tatouées sur des blousons, je regarde bronzer les dernières liseuses même pas numériques, j’envie les affalées aux âmes d’azalées, le nez dans le soleil, les pieds dans la fontaine. Je me nourris des roses, de ces monceaux de roses qui parfument la ville et je pourrais mourir avec la bouche bée pour peu que les abeilles viennent butiner ma luette, ma gentille luette et je me plumerais avec tout le Québec en ces temps de Canada dry et de sécheresse de ton des chenilles qui disent « Minute » aux papillons.

trois boutons de rose

  La postière est enceinte et ça n’est pas de moi de m’en aller ainsi, de la vieille sacoche du facteur suicidé que chantait Moustaki vers la boîte timbrée du village de Trentemoult : je ne me poste pas sur le pas de la porte pour qu’on m’enveloppe du regard ou pour qu’on m’affranchisse du cachet des vedettes ou de leurs secrets d’alcôves . Je me tamponne de certaines flammes. Si mon timbre résonne, c’est que sur le chemin, escarpe de Paulette, je m’apprête à rouler de nouveau, narquois, la société qui m’offre des vacances. Quand la vie m’enchante, je chante !

boîte

La postière est en sainte. Le bébé qui naîtra sera sain d’esprit et de corpore sano. Il aura Vénus en lion et la laine en mouton dont il suivra le fil afin de découvrir au bout de son chemin l’étoile du Berger. Moi, de toute façon, je suis comme Maryvonne, je ne sais plus où j’habite. Je lui laisse les pépins, au mouflet. Qu’il renaisse en pommier, moi je garde la cerise, je continue d’écrire sans trop savoir pourquoi, sans trop savoir comment, les mêmes cartes postales qui font plaisir aux gens même s’ils les reçoivent après que je suis revenu mettre un coup de soufflet dans l’anus des cochons afin qu’ils volent vers Monterfil pour y jouer du biniou. C’est quand même grâce à moi, à mon souffle magique, à mes fausses notes de rêve, qu’il pleut de la saucisse sur toute l’Ille-et-Vilaine, non ?

Et tant pis pour ceusses-là qui n’ont pas de galette. Comme a écrit Jules Verne « Seul est vraiment libre l'homme qui ne possède rien ».
- Justement , répond l’oiseau-Bakounine, ma propriété, c’est le vol !

S’il n’y avait pas ces faillies vaches qui planent, nous étonnent et nous tannent d’explosions de méthane, on serait au paradis, non ? 

Bien sûr que si, et cela même dans une Bretagne à quatre départements !

MIC 2014 06 02 cochon gallésie

1 juin 2014

Isaure mise à sac

Isaure mise à sac 2014 06 01

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