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Le cahier de brouillon de Joe Krapov

13 mars 2014

99 dragons : exercices de style. 21, Conte animalier, ferroviaire et Lucky Lukien

On venait de quitter l’Iowa. Depuis que l’on avait posé des rails sur la prairie, le train traversait d’Est en Ouest les Etats enfin unis d’Amérique, histoire de confirmer ce que cette sentence du Sussex susurre même aux sourds : « il faut bien que les guerres de succession et de sécession cessent sinon c’est du souci incessant». On était en 1878 et si on ne se battait plus depuis plus de dix ans entre Nordistes et Sudistes, on n’était pas sortis de l’auberge pour autant vu que les guerres indiennes avaient pris le relais. Enfin bon, ça faisait un an que les Sioux et les Cheyennes du Nord s’étaient rendus. On allait pouvoir assister à une autre ruée vers l’or dans les Black Hills.

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A l’arrêt de Mitchell, une femme jeune et jolie, vêtue d’une robe mauve, d’une grande capeline assortie et coiffée d’un chapeau à rubans était montée dans le wagon. Elle l’avait balayé du regard, s’était installée sur la banquette vide tournant le dos aux quatre employés de banque qui jouaient aux cartes. Elle avait sorti un livre de son sac et s’était mise à lire.

Johnny Horse était le seul autre occupant du wagon. Il décida de tenter lui aussi sa chance. Il vint s’asseoir en face d’elle et la dévisagea le plus innocemment du monde.

- Bonjour, dit-il. Tu t’appelles comment ?
- Je m’appelle Lily Lasouris. En fait non, je m’appelle à nouveau Lily Saint-Georges.
- Tu es française ? C’est un pseudonyme ?
- Saint-Georges est mon nom de jeune fille mais je suis la veuve du sergent Lasouris. Et toi, beau blond, comment t’appelles-tu ?

 

DDS 289 LuckyLukeMississippi

(Les Anglais et les Américains en viennent d’autant plus vite au tutoiement que dans leur langue le « vous » de politesse ne les étouffe pas : il n’existe simplement pas. Cela donne de piquants dialogues comme :
- Permets que je te baise, baronne, le bout des doigts ?
- Fais, Dulogis ! (Car le maréchal se nomme ainsi).
- Les yeux dans les yeux, je te jure que je n'ai jamais eu de compte en Suisse !

- Il y en a un peu plus. Je te le laisse ?
- Comment as-tu trouvé le Minnesota ?
- En remontant le Mississippi !)

- Je m’appelle Johnny Horse. Je reviens d’un stage de pâtisserie orientale que j’ai effectué à Davenport dans l’Iowa. J’ai pris ce train pour rejoindre mon salon de thé à Rapid City. C’est quand même super le train ! Autrefois on était obligés de prendre la diligence pour faire ce trajet. Et toi, Lily, où vas-tu ?
- Je vais derrière les Collines noires, à Gilette. C’est là que mon mari a rendu l’âme. Je vais me recueillir sur sa tombe et après je m’installerai là-bas pour évangéliser les Cheyennes.
- Evangéliser les Cheyennes ? Après qu’on les a exterminés et parqués dans des réserves ? Je trouve ça un peu Sioux, comme démarche, pour ma part.

Lily ne répondit pas.

- Tu n’as donc peur de rien ? Ne sais-tu pas que plus on va vers l’Ouest, plus il y a de dangers ? Il y a sans cesse du grabuge à Pancake Valley : quand ce ne sont pas des voleurs de chevaux, c’est une alerte aux Pieds bleus ! Et puis toute cette lignée de hors-la-loi, Jesse James, Billy the Kid… sans compter que les Dalton courent toujours !
- J’ai une lettre de recommandation pour le lieutenant Chicken au 20e de cavalerie. Il était sous les ordres de Custer avec mon mari à Little Big Horn. Il pourra me protéger, m’offrir une escorte en cas de besoin.
- En tout cas, tu n’es pas rendue, le voyage est encore long. Sans compter qu’il y a un passage dangereux après Canyon Apache. Et puis… il y a Gulliver.
- Gulliver ? Qui est-ce ?
- C’est une espèce de dragon, un monstre sanguinaire qui dévore tout ce qui s’aventure sur la voie ferrée.
- Tu racontes des bêtises, Johnny ! Tu essaies de me faire peur pour me détourner de mon projet, de ma mission. Je parie que tu es célibataire et que tu rêves de te trouver une bonne petite épouse bien soumise pour tenir ton saloon !
- C’est un salon de thé, Lily, tout ce qu’il y a de plus honorable, destiné aux dames de la ville et pas un abreuvoir à cow-boys.
- Ta ta ta ta ta ! C’était bien essayé mais n’y songe pas, même en rêve ! Et à part ça, à quoi il ressemble ce Gulliver ?

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- C’est un chat sauvage du Kansas. Un chat géant qui a la particularité d’être tigré et omnivore.
- N’importe quoi ! Un chat omnivore ! Pourquoi pas un cochon avec des bottes rouges pendant qu’on y est ? Que veux-tu qu’un chat, même géant, puisse faire à un train lancé à toute vapeur sur ses rails vers les promesses de l’Ouest ? Un chat sauvage du Kansas ! Many Dick Rivers to cross ? C'est pas sérieux ! Tiens, je veux bien parier avec toi, Johnny Horse ! Si un jour je rencontre ce Gulliver, je reviendrai m’engager comme femme de mauvaise vie dans ton saloon, foi de Lily Saint-Georges !
- C’est un salon de thé, mais pari tenu, je t’engagerai comme cuisinière pour faire des gâteaux.
- Maintenant, si tu veux bien me laisser lire ma bible, Johnny, je t’en serai reconnaissant. Au moins, là-dedans, il n’y a pas d’histoires aussi abracadabrantesques !
- Mais certainement. Lis, Lily !

Un peu dépité, Johnny retourna s’asseoir à sa place initiale, il posa son front contre la vitre et regarda défiler le paysage.

 Plusieurs heures après le train s’arrêta à Rapid city. Johnny prit sa valise et en passant au niveau de Mme Lasouris qui lisait toujours, au lieu de soulever son chapeau, de lui souhaiter bonne route, d’échanger un mot d’adieu avec elle ou de lui reparler de leur pari, il se contenta de faire un signe de croix.

Ce geste, bien que discret, n’échappa pas au regard de la jeune femme. Elle eut un regret. Il était mignon, ce beau blond mais un peu trop craintif, un peu trop crédule et finalement très, très voire beaucoup trop popote. Elle avait besoin d’aventure pour sa part, sans cela elle n’aurait pas épousé un militaire. Et si c’était pour ouvrir un salon de thé, elle pouvait tout aussi bien faire ça sur la côte l’Est.

La souris bibliophile se replongea dans son livre sacré. Le train se remit en marche. Vers la fin de l’après-midi on atteignit les premiers contreforts montagneux des Collines noires. Cela faisait déjà très longtemps qu’on ne voyait plus ni fermes ni barbelés sur la prairie. Un peu avant Sundance, comme le soir tombait, le train pénétra dans un tunnel.

DDS 289 Gurbuz Dogan Eksioglu

Quand la locomotive et les wagons furent ressortis à l’air libre, le chat géant donna un coup de patte qui fit dérailler le convoi. Puis Gulliver croqua Lasouris, les employés de banque, le jeu de carte, la bible, le wagon, la loco et même le tender avec la réserve de bois et de charbon. A quoi ça servirait sinon, d’être Chat sauvage du Kansas, omnivore et tout le temps affamé ?

Puis il s’en alla ronronner d’aise ailleurs et l’auteur posa sa plume. Lui aussi était satisfait de cette variante dans laquelle le dragon n’a rien d’effrayant, Saint-Georges ne remporte pas la victoire, les animaux ne se font pas bouffer, enfin si mais pas tous et pas comme on s’y attend, et la population autochtone qui n’a rien demandé à personne peut continuer à fumer son calumet électronique (ou pas) en paix.

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13 mars 2014

Sur les pas de Léon-Paul Fargue (Joe Krapov)

1
Je ne fais pas preuve de morgue
Car je ne suis pas un cyborg
Mais j’ai plus de chaleur humaine
Que ce sinistre énergumène :
Je veux déclarer en exergue
Que je ne suis pas l’iceberg
Qui sema jadis la panique
Sur le paquebot Titanic

Parmi les voiles que l’on cargue
Je suis un peu le subrécargue
D’une compagnie de poètes
Et de bateaux ivres de fêtes

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2
Comme arguments à nos folies
Ou même à nos mélancolies
Nous avons bien peu d’arguties :
Notre adoration de Lucie,
La patronne des musiciens,
L’amour des mots neufs ou anciens,
Des maximes de Vauvenargues ,
Des formules folles qu’on largue.

Parmi les voiles que l’on cargue
Je suis un peu le subrécargue
D’une compagnie de poètes
Et de bateaux ivres de fêtes

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3
Je ne monte pas sur les vergues
Pour déclamer du Lichtenberg ;
Plus qu’un pyrargue sur les voiles
Je suis le targui des étoiles,
Le flamant rose de Camargue
Et dans mes plus beaux jours je nargue
Tous ces fiers à bras qui refourguent
Leurs devises du Luxembourg

Parmi les voiles que l’on cargue
Je suis un peu le subrécargue
D’une compagnie de poètes
Et de bateaux ivres de fêtes

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4
Seule chose dont je me targue
Sur les pas de Léon-Paul Fargue,
Je suis un piéton de la Terre
Abasourdi par ses mystères,
Par ses beautés de Sorgue, d’îles,
Ses escargots, ses crocodiles,
Ses fleuves, ses flots batailleurs,
Ses vents qui poussent vers ailleurs

Parmi les voiles que l’on cargue
Je suis un peu le subrécargue
D’une compagnie de poètes
Et de bateaux ivres de fêtes

 

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Les photos de l'Etoile du Roy ont été prises à Saint-Malo le 9 mars 2014

 

7 mars 2014

Cochons la bonne case ! (Joe Krapov)

Comment ? 23 lignes pour faire le tour de cet animal qui se vautre dans la fange comme Christine, Frigide et Ludovine dans la Manif pour tous ? Mais c’est ridicule ! Pire, c’est un tour de cochon qu’on me joue là !

Impose-t-on la même limite à ce mammifère omnivore de Philippe Meyer ? Et en plus, cette semaine, il faut faire rire les petits mômes ! Mais enfin ! Jamais aucun(e) de vos porcelets de petits-enfants barbouillés de Nutella ne sourira jamais à l’énoncé « Qui vivra verrat » sur lequel je ne saurais faire l’impasse ni à ce petit jeu des suppositions que j’adore : suppose que tu t’appelles A et que tu veuilles importer dans la Sarthe les méthodes d’élevage du Périgord. Alors je te dirai : « Ne fais pas, A, aux truies ce que tu n’aurais pas voulu qu’on fît d’oie ! ». Caca boudin !

Du coup je suis à peu près sûr que même à Pau ce défi gave ! Caca boudin !

Le cochon est un animal qui pond des œufs quand on tire sur sa queue. Encore faut-il qu’auparavant on ait pris soin de le suspendre au plafond. Les œufs du cochon ont ceci de particulier qu’une fois cassés dans votre poêle ils se transforment en omelette aux lardons. Caca boudin !

Le cochon est tellement synonyme de richesse que les Italiens ont toujours placé en lui leur confiance et leurs économies : en italien, cochon se disait autrefois « tire-lires ». L’usage s’en est répandu jusqu’en Bretagne où le summum du luxe est de passer ses vacances en compagnie de Peggy la cochonne à la pointe du Grouin ou à Porc-Navalho. Caca boudin !

Je connais au moins trois chansons consacrées aux cochons : « Piggies » des Beatles, « Tout est bon dans le cochon » de Juliette et « Pork’n’roll » des Nonnes troppo. Je ne sais pas encore laquelle des trois je vais interpréter en complément de programme de ce billet. J’ai lu « La Stratégie pour deux jambons » de Raymond Cousse mais ça non plus, ça ne fera pas rire autant les enfants que la formule ajoutée depuis quatre paragraphes à la phrase de fin de ceux-ci.

Bon j’aurais pu chanter aussi, c’est vrai, « un été de porcelet-ne » de Mort Shuman. Sans compter que je suis aussi l’auteur de ce couplet détourné et ajouté au chef d’œuvre des Charlots :

« On a parlé d'amour et de violettes,
Mais jamais d'amour et de rillettes
Pourtant je connais tout près d’Allonnes
Un hidalgo qui chante à sa bonne,
Tous les jours à l'heure du dîner
Ce chant d'amour bien tartiné :

Paulette, Paulette tu es la reine des rillettes
Notre amour ne serait pas si grand
Si je n’aimais pas les rillettes
Les rillettes du Mans ! »

S’il y a un Edmond le cochon en bande dessinée (Veyron/Rochette) et si Obélix tombe sur ceux de son temps sanglier gare, nous avons à Rennes un Léon le cochon qui est un restaurant non-végétarien dans lequel je n’ai jamais les pieds, fussent-ils panés ou pas !

Au cinéma il y a bien sûr « Le porc de l’angoisse », « Babe », les aventures de Lemmy Cochon avec Eddy Constantine, « POUR qui CEAUnne le glas » d’après Hemingway et, paradoxalement, « La guerre des moutons » pour sa célèbre réplique « Si goret su j’aurais pas venu ».

Avant que nous ne parvenions à la vingt-troisième ligne de cette chronique ou peu de temps après l’avoir dépassée, afin de vous éviter à vous aussi de prononcer cette dernière phrase, je crois qu’il est temps que je m’arrête. C’est vrai qu’une réponse négative à la question « Cela sert-il à quelque chose que je m’échine ? » me resterait en travers (de porc) de la gorge. Et je protesterais alors : Caca boudin !

Aussi évitons de pousser des cris d’Hugues orfraie, l’heure est venue de nous saigner d’une petite chanson. Sortez vos tire-bouchons !

28 février 2014

LE DOIGT ET LA POUDRE

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La pirogue glissait rapidement sur l'eau. Ils entrèrent dans un canal qui débouchait de l'autre côté de la rivière. Il était très étroit et l'embarcation y passait de justesse. Ils pointèrent la pirogue vers le canal. Ils avançaient lentement, tête baissée, à cause des branches qui pendaient au-dessus de l'eau. Après avoir fait une centaine de mètres, ils aperçurent le fleuve, négocièrent le virage et prirent la direction de Davenport où ils avaient l’intention de faire escale.


Il y avait là, sur la rive droite du Mississippi, l’auberge de Big John Crosby et l’habitation de Scott Young le trappeur à qui ils livraient eux aussi à l’occasion le produit de leur chasse. Big John n’était plus le même depuis que la rivière avait emporté sa petite Emmylou. Il s’adonnait à l’eau de feu plus que de raison pour y noyer son chagrin. Scott Young était un homme honnête mais les trois Cherokees se demandaient si ses deux fils seraient à la hauteur pour reprendre l’affaire de leur père. Le deuxième surtout n’avait rien de guerrier, frêle, souvent malade lorsqu’il était enfant, avec un regard noir et torturé, toujours fourré dans les bouquins, à lire tout ce qui lui tombait sous la main.


- Qu’est-ce que tu fous, Dragging Canoe ? Tu as failli nous faire chavirer !

- Désolé ! On vire à droite, Sequoyah ! Il y a un bateau en face !
- Qu’est-ce que c’est que cet engin ? Une canonnière ?
- Mettons-nous à couvert sous les lianes et observons.

Regarde m’man, il y a un bateau blanc sur la rivière ! Il a une cheminée rouge, il arbore un drapeau,et il y a un homme sur le pont. Tu f’rais bien d’appeler Big John ! Je n’pense pas que ce raffiot-là vienne pour nous distribuer des lettres ! Il est à moins d’un mile maintenant. J’espère qu’il ne va pas s’arrêter ! Il a des numéros inscrits sur sa coque. Il porte un grand canon et il déplace de grosses vagues !

 

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C’était effectivement un grand bateau blanc, avec une cheminée rouge et un long canon à l’avant. Il remontait silencieusement le fleuve et d’ici trois ou quatre minutes il serait à hauteur des deux bâtiments en rondins de bois de Davenport. Sur le quai, le deuxième fils de Scott avait aperçu lui aussi le navire. Il semblait hésiter sur ce qu’il devait faire. Il cria en direction de quelqu’un à l’intérieur de la maison mais ni son père, ni son grand frère ne sortirent pour le rejoindre. Sans doute étaient-ils partis chasser ou relever leurs pièges ?

Papa est parti et mon frère chasse dans la montagne.

Big John serait-il de bon secours ? Il boit trop depuis qu’Emmylou s’est noyée dans la rivière. Du coup c’est moi qui représente l’autorité mais j’ai bien trop souvent tendance à tergiverser. Je viens juste d’avoir 22 ans. Je me demande bien quoi faire face à ce truc. Et plus elle se rapproche, cette canonnière, plus l’hésitation en moi augmente !

Le gamin entra dans sa demeure et en sortit avec une carabine presque aussi grande que lui. Il demeura en retrait du quai de débarquement, posté derrière un tonneau.

Avec le fusil de mon père entre les mains, je me sens plus rassuré. Papa m’a toujours dit : «Si tu vois rouge mets-toi à courir ! Ne te soucie pas des chiffres ! ». Qu’est-ce qu’il a bien pu vouloir dire ? Quand le premier coup de feu a frappé le quai, j’ai vu arriver mon destin en même temps que la réponse ! J’ai ajusté le fusil tout en me demandant pourquoi je faisais cela, pourquoi ils nous tiraient dessus. Et puis il y a eu un grand trou noir, mon visage a éclaboussé le ciel, et je suis tombé à la renverse.

Il dut y avoir une mésentente de part et d’autre. Ou alors les occupants du navire n’étaient pas des représentants des autorités américaines. Toujours est-il qu’un type en maillot rayé et en casquette tira deux coups de fusil en direction de Davenport. Ses balles ricochèrent sur le quai de débarquement. Qu’est-ce qui se passa dans la tête du gamin ? Il épaula son fusil, mit son doigt sur la gâchette mais avant que la poudre ne parle, une balle mortelle l’atteignit.
Le bateau ne s’est pas arrêté. Quand il est passé près de nous notre canoë s’est soulevé comme poussé par un raz-de-marée puis le fleuve s’est calmé et le troisième d’entre nous, un vieux chaman qui avait pour nom Cheval fou se mit à psalmodier dans notre langue quelque chose qui signifiait :

Eloigne de moi la poudre à fusil, le doigt trop leste ! Empêche-moi d’appuyer sur la gâchette du bâton de feu ! Pense à moi comme à quelqu’un dont tu n’aurais jamais cru qu’il se serait effacé si jeune avec tant de choses non finies, non vécues. Rappelle-toi de mon amour pour toi car déjà tu me manques.

Nous avons traversé le fleuve redevenu calme et nous sommes allés consoler la mère du jeune Neil et Big John qui était enfin sorti de sa taverne en claudiquant. Puis nous avons repris notre route. Ce n’étaient pas nos affaires. Depuis que les visages pâles ont envahi nos vallées et nos prairies, ils sèment la violence, la mort et la désolation autour d’eux. Quelque chose de grand en naîtra, sans soute aucun, mais comme dit Cheval fou : « De transformation en transformation, de paysage en paysage, nul ne sait où conduit le chemin des humains ni ce que nous récolterons sous la lune des moissons. De l’homme mort naîtra la poésie de l’homme qui rêve. Pour celui-là, il faudra simplement qu’il troque son fusil contre une guitare dans sa prochaine vie».

Librement adapté du texte de la chanson "Powderfinger"de Neil Young :

21 février 2014

Pour Alice de la part de Lewis (Joe Krapov)

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Je ne sais pas ce que raconte cette forêt de signes.

Je ne sais pas ce que dit l’arbre à son voisin.


Je ne sais pas ce qu’il y a derrière la porte.


Je ne sais pas pourquoi on abat l’arbre afin de faire du papier.


Je ne sais pas si ce qu’on écrit sur le papier mérite qu’on abatte des arbres.

Je sais que c’est ton jardin secret et que tu as toutes les réponses à mes questions
Puisque tu es la réponse.

Je sais que mon manuel d’arboriculture était un incunable qui valait une fortune
Mais je te pardonne car ce que tu en as fait est très beau.

Tu voulais peut-être savoir de quel bois je me chauffe ?

La réponse est classique autant que décevante :
Je me réchauffe le cœur à la guitare de Georges.

 

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14 février 2014

Voilà pourquoi la tour de Pise penche encore (Joe Krapov)

 Oh comme il y a longtemps que je ne vous ai pas gratifié(e)s d'un petit tibouque !
N'oubliez pas de zoomer pour le lire !

Il est téléchargeable ici en pdf et là (mais pendant un mois seulement) au format .doc

3 février 2014

Un carrefour spatio-temporel à Rennes (Ille-et-Vilaine)

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Au carrefour de la rue de la Psalette, de la rue du Chapitre et de la rue Georges Dottin, à Rennes, on peut voir sur le pignon du restaurant "La Villa d'Este" trois statuettes en bois qui représentent des musiciens du Moyen-âge. Le premier chante en s'accompagnant d'un instrument qui est peut-être une guiterne, peut-être une citole ou une mandore, en tout cas un genre de luth. Le second brandit un microphone très anachronique vu que l'amplificateur du sieur Marshall n'avait pas encore été inventé à l'époque. Le troisième, dans une pose quelque peu lascive, semble ne pas trop se soucier d'être au diapason des deux autres. S’il ne pince pas les cordes de son instrument, peut-être tire-t-il… au flanc ?

Dans une vie antérieure, j'avais expliqué à Isaure Chassériau qu'il s'agissait de trois élèves de « l'école de musique de l'église où l'on formait les enfants de chœur » : c'est là la définition du mot « psallette ». Ils s’échappaient souvent en douce du dortoir pour venir assister, le soir, au déshabillage de la servante de l'auberge : le Vénitien qui inventa les stores du même nom n'était pas encore né non plus et la pudeur de la jeune fille était un peu en rideau du fait de sa fréquentation forcée, à l'estaminet du carrefour, d'une clientèle interlope et pas forcément raffinée : on trouvait souvent dans ce débit de boisson de nombreux adeptes de la théorie du mauvais genre. De ce fait, la pose lascive du troisième musicien peut aussi être interprétée comme un apprentissage un peu précoce du développement de la surdité. Comme on disait à cette époque où les guerres duraient cent ans et où il y avait beaucoup d’orphelins, "on a l’éducation maternelle qu’on peut !".

Une méchante sorcière conformiste, moraliste, traditionnaliste, puritaine, frigide et barjotte qui passait par-là un soir surprit les trois jouvenceaux et leur jeta un sort : elle les transforma en statues de bois. Ce qui, me dit plus tard Hervé Lelardoux à qui je racontai l'histoire tout droit sortie de mon cerveau malade, constitue un sacré paradoxe : être transformés en statue de bois parce qu'ils ne l'étaient pas restés, de bois, devant les charmes de la belle, ça valait son pesant de poutres dans l’œil !

Bref cette pourtant très hétérosexuelle légende urbaine ne laisse pas de questionner votre humble serviteur… et lui seul : aucun guide touristique de Rennes ne mentionne ni la légende ni les statuettes et je suis prêt à parier que des tas de Rennais ne lèvent jamais le nez à cet endroit de la ville. C'est dommage. Ce carrefour est sympathique, piétonnier et il incite à réfléchir au temps qui passe. Avant d’être rebaptisée "le Méditerranée", le restaurant où officiait l’accorte serveuse s’est d’ailleurs longtemps appelé « Auberge du bon vieux temps ».

Peut-être un brave homme avisé, un professeur d'histoire, un érudit, un émule de M. Dottin pourra-t-il m'expliquer un jour, outre cette mise sous silence de l’épisode, pourquoi les trois enfants de choeur sont juchés sur la tête de trois personnalités facilement reconnaissables par tous ceux qui ont fait la fête le soir du 10 mai 1981 et qui chantent désormais, sur leur scooter ou pas, comme toutes les filles qui s'appellent Valérie, "Que reste-t-il de nos amours ?" : François Mitterrand, Roland Dumas et Pierre Mauroy ! 

Mitterrand 2

roland dumas 2 

mauroy 2

31 janvier 2014

A qui doit-on s'adresser pour devenir Belge d'honneur ? (Joe Krapov)

La pire chose qui puisse arriver à un libraire est survenue. C’est une histoire qu’on pourrait mettre dans nos tablettes si les tablettes n’étaient pas elles-mêmes entrées dans l’histoire et n’avaient pas absorbé tout le contenu de l’échoppe tenue par ce couple de libraires suisses si bien apparié.

Sans que nul ne pipe mot, le monde du numérique s’est abattu sur eux à la vitesse de la vérole sur le Bas-Empire romain. Fin du papier, fini de ramer, les clients se sont fait la paire et, sans rime ni raison, se sont mis à aimer cette vamp avariée au sein refait à neuf : Miss Amazon, déesse impérieuse et impérialiste, parée des attributs de la modernité, des pantoufles de vair de Cendrillon au bal, fournisseuse officielle de bonheur dans le pré connecté du village mondial.

Habiter la Suisse ne préserve pas du malheur d’être chocolat. On a donc prié Rémi et Marie, nos libraires, de mettre la clé sous la porte, de plier boutique. Ils ont dû quitter leur repaire d’amoureux des livres, ont été virés comme des malpropres par le pape du mercantilisme qui, en prime, a transformé leur local dédié à la culture livresque en boutique de vente de smartphones. Mon Dieu ! Comme ce monde est âpre, qui vous prive d’un seul coup de ce qui vous rendait si humain, ivre de contacts, de partages, de repères communs avec tous ces clients devenus des amis.

Heureusement le maire de Bâle s’est ému de leur sort. Ila bien vu à la tête de la mariée et à la tronche d’intello binoclard du marchand de livres que toute reconversion était râpée d’avance pour eux, qu’il ne fallait pas penser les faire riper sur quoi que ce soit d’autre dans un monde où Nabila est une star et les Stentors disques de platine.

Dans sa ligne de mire, il y avait justement le « Zoo du dessous du réel » qu’il avait récemment inauguré.

- Vous y serez nourris, logés, blanchis, vous n’aurez rien à faire qu’être là tout le jour. Vous pourrez jouer au rami ou lire vos satanés bouquins ».

Il y a pire dans le genre : périr en mer, commettre un impair et se retrouver les quatre fers en l’air dans la prairie avec un troupeau de bisons qui vous passe dessus (ces bestiaux ne sont pas très futés). Alors Rémi et Marie ont accepté cette situation de pensionnaires du zoo de Bâle. Ils y ont pris leurs habitudes.

plonk-libraire réduit
(Cette illustration est signée Plonk et Replonk)

Quelquefois, pour se changer de la lecture et de la conversation à travers les barreaux avec les visiteurs en troupeau, Rémi va s’asseoir sur son pneu-rocking-chair avec une grille de mots croisés. C’est le cas aujourd’hui et bien qu’il ne pleuve pas, qu’il n’ait pas eu à mettre son imper, il sèche sur le 3 vertical.
- En six lettres, Marie ? « Bandard fou d’avant Moebius » ?
Marie vient se pencher derrière lui et elle lui répond :
- PRIAPE !
- Ah mais oui, bien sûr ! Comment ai-je pu ne pas y penser ? Est-ce que tu peux m’aider aussi pour le VI horizontal ? « Comte à dormir debout » ? J’ai pensé à « somnambule » mais ça ne rentre pas : il n’y a que sept lettres.
- Je ne vois pas pour l’instant. Mais tu ne la trouves pas bizarre, la solution de la grille de la semaine dernière ?
- Qu’est-ce qu’elle a ?
- Tous les mots ont l’air d’être composés avec les lettres d’un seul mot plus long.

Rémi observe la liste :
VAMP PIRE  EMPIRE VRAI VIRER VAIR VARIER PRIE PRIME MARIE APRE RAPE RIME RAME MARIEE REPAIRE REPERE PRE PIPE PAPE PARE MIRE IMPER PAIRE MAIRE PRIAPE PRAIRIE APPARIE PIPER RIPER RAMI ARRIVER MEME IMPAIR PAPIER AIMER PERIR AVARIEE AIME IVRE PRIVE AMI MER
- C’est quoi, ce truc ?
- Ce sont des dérivations de VAMPIRE et du coup j’ai trouvé ton VI horizontal. « Comte à dormir debout », c’est DRACULA !
- T’es trop forte, Marie !

Et, bien que Suisse, en remerciement, il lui chante une chanson belge du groupe Sttellla.

24 janvier 2014

UN APPEL POUR MISTER KSAPAROV (Joe Krapov)

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- Allô ? T’es où, là ?
- Ah tiens ! Ce cher Averell ! Figure-toi, ami Krapov, que je suis à Amsterdam en train de photographier les reflets des péniches dans les canaux. Il fait beau, il y a peu de vent, c’est un régal pour l’œil.
- Arrête de déconner, Harry ! T’es où en fait ?

 

 

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- Comment as-tu fait pour deviner que je n’étais pas à Amsterdam ? Tu as raison, je suis à Séville, je visite le monastère de Santo Tradero Chrysostomo. Le cloître est magnifique avec ses arcades refaites à neuf et ses chapiteaux de rue du cirque corinthien. Les moines fabriquent des cartes postales de toute beauté en forme de quatre-quarts breton. Je viens justement d’en acheter une pour te donner de mes nouvelles.
- Non mais, allô, quoi ! T’es où, vraiment ?

 

 

130718 052

- Je suis dans les jardins Boboli à Florence. Je n’ai pas trouvé la statue de Cadet Rousselle chevauchant sa tortue mais la roseraie est magnifique. Toutes ces fleurs, ça donne envie de chanter les Roses blanches… ou de partir visiter la TransBertheSylvanie !
- Non mais, Harry, sérieux, t’es où, là ?

 

 

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- Je suis sur la mythique route 66, celle qui traverse les Etats-Unis d’Est en Ouest ou d’Ouest en Est suivant le sens. Je suis à mi-chemin entre Chicago et L.A. Je suis au volant d’une Chevrolet superbe, ses chromes scintillent au soleil et sa carrosserie vert et crème me fait traverser des united strates de temps que tu n’imagines pas ! Tantôt c’est Bill Haley et ses Comets qui jouent « Rock around the clock » tantôt c’est Neil Young and the shocking pinks qui balancent leur “Everybody’s rocking”. J’ai un Stetson sur la tête…
- Désolé mais j’y crois pas une minute à tes f’Harryboles !

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- Tu as raison. Il caille ici ! Je suis à Legoland à Billund au Danemark. Toute la ville est construite en lego. On vient de faire un tour aux montagnes russes et maintenant on va au mariage célébré à l’hôtel de ville. Je suis invité à la noce. C’est pour ça que je ne répondais pas à tes appels téléphoniques. Je veux en profiter un maximum
- Arrête tes conneries, Harry, tu me fais user mon forfait. T’es où là ?
- Je suis chez moi, à Rennes, imbécile ! Je viens juste de te raconter mes rêves du week-end dernier ! Tu devrais t’en douter du lieu où je me trouve puisque tu m’appelles sur mon fixe !
- Ah oui, tiens, j’ai fait le n° de ton fixe !
- Et tu n’as pu faire que celui-là : je n’ai pas de téléphone portable !
- Mais tu n’es vraiment pas moderne, Harry ! Pourquoi n’as-tu pas de portable ?
- Jusqu’à présent, ça m’a permis d’éviter les intrusions des publicitaires, de la NSA et des individus casse-bonbons dans ton genre qui ne te lâchent jamais les baskets et commencent toujours leurs phrases par : « Allô t’es où, là ? ».
- Ah oui ? Et ça marche ton système de défense ? C’est la défense Ksaparov ?
- Ça marchait jusqu’à ce que tu m’appelles et que je m’en rende compte.
- De quoi ?
- Je viens de me rendre compte qu’il y a plus nocif que les ondes électro-magnétiques.
- Ah oui, et quoi donc ?
- Averell Krapov !

*

- M'enfin, Joe Krapov ? Il n'y a pas de gag dans ton interprétation des "Roses blanches" !
- Si, il y en a un !
- Qu'est-ce que c'est ?
- Le gag c'est qu'il n'y a pas de gag dans mon interprétation des "Roses blanches" !
- Non mais allô, quoi, Joe Krapov ? T'es où là ? Au trente-sixième dessous ou au trente-huitième degré ?
- Peut-être aux quarantièmes rosissants !

17 janvier 2014

Cérémonie soit qui mal y pense (Joe Krapov)

- Mesdames et messieurs, il nous faut prendre le problème à bras le corps.

Le journaliste, Averell Krapov, se penche vers son collègue et dit à voix basse, à propos du discoureur qui n'a jamais si bien porté ce nom :

- Déjà quand j'entends des phrases comme celle-là, j'ai envie de prendre mes jambes à mon cou !

- Nous devons faire rendre gorge à certaines rumeurs...


- A tous les coups, il va demander qu'on lui file un coup de main !


- ...car enfin j'ai le droit de prendre mon pied où je veux, quand je veux et avec qui je veux !


- Et dans n'importe quel pied-à-terre ! J'ai comme l'impression qu'il traite le problème par-dess(o)us la jambe !


- Ou alors il essaie de nous endormir, répond le journaliste n° 2, Harry Ksaparov. On va se retrouver d'ici peu dans les bras de Morphée !

- D'autres que moi, dans cette équipe de bras cassés, ont été pris la main dans le sac. Déjà, pour parvenir ici, il nous a fallu longtemps jouer des coudes, faire des pieds et des mains. Si je vous demande de m'épauler ce jour, c'est que nous manquons de bras pour éteindre l'incendie. Mais je vais répondre à la question posée par Miss MAP dans le journal « Le Défi du samedi ». En général, les gens qui ont le bras long ne se mouchent pas du coude. On ne leur cherche pas souvent querelle car leurs amis et protections ont vite fait de vous tomber dessus à bras raccourcis. Qu'elle se souvienne du proverbe latin : « Humerus radius cubitus » qui signifie : « Petite mère, tu ne vas pas rester radieuse très longtemps si tu te mêles comme ça des histoires de clavicule des puissants ». Et donc, Mesdames et Messieurs les membres des corps constitués, en vous présentant tous mes vœux de bonheur pour l'année 2014, je vous le confirme, «avoir le bras long» n'a et n'aura jamais qu'un seul sens à mes yeux. Cela signifie et signifiera longtemps encore «avoir de l'entrejambe».

Silence consterné de la salle.

Le discoureur constate l'émoi dans lequel sa conclusion a plongé ses auditeurs puis il corrige :

- Je voulais dire « avoir de l'entregent ».

- Trop tard pour rectifier le lapsus, mon pote ! C'est plié ! Viens, on se casse !

- Tu vas titrer quoi ? » demande Ksaparov à Krapov à la sortie.

- Après le mariage pour tous, l'origami pour tous !

- Ah ouais, pas mal ! En même temps, tu ne te foules pas !

- Normal ! Comme a dit le poète, "l'important c'est l'arthrose" !

Hamster jovial

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