Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le cahier de brouillon de Joe Krapov
18 octobre 2011

LE PATINEUR EST VIERGE DU PREMIER DECAN par Joe Krapov

LE PATINEUR EST VIERGE DU PREMIER DECAN par Joe Krapov

Celui qui ne manque pas d’air, il y a toujours un moment dans la vie où il lance aux copines : « Regardez-moi, je vais vous faire un double axel ! ».

Il s’élance, prend de la vitesse, on voit ses muscles qui se contractent et le « Candeloro est arrivé » du jour décolle de la glace, le voilà devenu papillon immortel, il ne rêve plus que d’une chose : l’autoportrait d’une caméra invisible qui le garde à jamais dans sa suspension-sustentation de gloriole tandis que la reine Victoria, accoudée au bord de la patinoire, maugrée en confidence à son index de gauche posé contre sa joue : « Qu’il se viande, ce con ! ».

Je suis la reine Victoria. J’aime les fleurs et les étoiles, les voiles de tulle et les diadèmes mais je n’habite pas un palais et je vis comme tout le monde dans un studio trop cher une vie de galère.

Si j’avais un choix à faire, je partirais vers le Sud. Il paraît que la misère y est moins pénible au soleil. Mais je ne suis pas sûre que ce soit le bon moment pour aller se faire voir chez les Grecs. Tout va vraiment très mal, là-bas. Nana Mouskouri vient d’avoir 77 ans et pour peu qu’on la pousse elle chanterait encore alors que Georges Moustaki, au même âge, n’a plus qu’un tout petit filet de voix. Et sans filet, ce n’est pas pratique de faire les courses (de déambulateurs). Si on travaillait sans filet, ce n’est pas malin d’arrêter son cirque, ça ne fait pas de rentrée d’argent dans la caisse, le directeur ne peut pas rembourser ses dettes, l’Acropole est décati, les ânes de Santorin s’indignent, refusent de monter l’escalier, les coupoles bleues ne resplendissent plus pour personne par-dessus les blanches maisons, il n’y a plus d’ouzo à la taverne et les chats noirs ne dansent plus le sirtaki dans les ruelles.

Tamara Tarama qui est ma meilleure amie m’appelle quelquefois « Hibou observateur ». Ca fait totem de « scout toujours » mais je n’ai rien contre. Oui, c’est vrai, j’aime bien regarder le monde en train de faire ses singeries au pluriel.

Collage_JER_13_Le_patineur_est_vierge_du_premier_d_can

Tout comme le patineur, vierge du premier décan, ignorant du dernier quartier de noblesse sous prétexte qu’en compète il porte des collants, le monde tourne en rond et offre à nos regards ses airs d’éternel recommencement. Il nous fait sentir son parfum de singe : c’est de lui qu’on descend, à la station Glacière, là où le métro est comme le meeting, aérien, et il n’est pas rare qu’une fanfare incongrue nous y accueille, dont le chef aux allures de macaque lance à sa clique « En avant la nasique ! ». Là-dessus on entend un mélange de « Singe-ing in the rain Somewhere over the rainbow Gare au gorille » qui décoiffe quelques peu les bonnes au bow-window.

Tamara Tarama pense aussi que je suis un porte-manteau original. Peu importe la façon dont je m’habille : quels que soient les vêtements que j’accroche à ma peau, la seule chose que l’on voit de moi c’est ce visage de grenouille, les yeux de Marty Feldman par-dessus le corps de Marguerite Duras, un hommage assuré assumé aux Freaks de Tod Browning.  Je ne me tirerai pas deux balles pour autant : la peau se souvient. Nous sommes des êtres de tissu et je tiens à mes robes !

Quoi ? Vous êtes encore là ? Vous n’avez pas encore décroché de ce début de roman à personnage central hautement improbable ? Vous êtes déjà curieux de la connaître, totalement amoureux de Tamara Tarama ? Oh, comme je vous comprends ! Moi aussi, quelquefois, j’en ai l’eau à la bouche !

Mais non, vous ne rêvez pas. C’est pourtant bien moi qui vous mènerai jusqu’à la page 190 de ce roman à clé. Parce que le gars qui ne manque pas d’air vient de retomber sur la glace. Pas d’espoir non plus qu’il vous emmène jusqu’aux J.O. Il s’est viandé, ce con, et fracturé la cheville. Vos idées de fiançailles entre lui et moi sont tombées dans le lac, on repêchera un autre jour leurs cadavres accrochés à la porte de l’écluse.

MIC_2011_10_17__cluse

Allez, mes mignons, sortons de cette patinoire où nous avons fait connaissance. Dehors, rien que pour vous, je changerai de peau, je deviendrai une autre, peut-être la Vénus de vos rêves, peut-être la femme de votre vie.

Je suis la reine Victoria, je deviens ce en quoi je crois, je suis la reine des transformistes, je me transforme, je te transforme, je nous transmute tous azimuts, je t’emmène vers d’autres cieux et le septième n’est qu’un d’entre eux.

Je suis la femme culméléon ! 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Le cahier de brouillon de Joe Krapov
Publicité
Archives
Publicité