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Le cahier de brouillon de Joe Krapov
7 février 2012

Les pousseurs de bois (Joe Krapov)


MIC 2012 02 06 Début BirdTrente deux pièces noires ou blanches, lesquelles pour moi ? Les blanches, c'est moi qui commence. Deux gorgées de Vittel et je pousse mon pion.

Je rêvais de surprendre, comme au détour d'un bois, mon adversaire du jour avec une ouverture de derrière les fagots. Je crois que j'ai réussi.

Elle arriva bien vite, la tempête crânienne ! Suant, réfléchissant, le regard effaré devant cette poussée du pion f en premier, Harry K. laissait déjà filer le temps à sa pendule, trifouillant dans sa mémoire, triturant ses neurones surpris pour savoir que jouer contre cet oiseau rare, 1. f4 le début Bird.

MIC 2012 02 06Dieu merci, il n'a pas répondu par le gambit From (1. ... e5) mais il a poussé son pion dame en d5.

Quelques minutes plus tard il s'avéra que nous avions transposé dans une Hollandaise en premier, un stonewall Arthurien : ce fou de Gauvain était en d3, Lancelot sur f3 paré pour sauter en e5 et Perceval derrière piaffant devant Guenièvre pour aller se poster en soutien sur f3.

Harry ne s'est pas méfié de ce qui se profilait : il a pondu un petit roque ! Sur la piste de danse, ma Dame se prépara à jouer les Salomé sous la boule à facettes. Meet me at the wrecking ball

Au bout d'un moment, il a fini par m'énerver aussi à se lever toujours, à marcher rapidement dans la salle du tournoi, à venir se rasseoir inquiet, à battre du pied nerveusement sur le parquet de la salle Galatée et à taper violemment sur la pendule après chacun de ses coups car il était toujours en retard.

Quand j'avançai mon pion en g4 à l'assaut de son cavalier, cela l'embêta au plus haut point. Je me levai alors, pris ma bouteille d'eau, allai voir sur les autres échiquiers comment s'en sortaient mes collègues.

Puis je revins m'asseoir. Il avait joué le fou pour dégager la case où pouvoir replier le cheval menacé. J'ai poussé g5 et j'ai attendu.

Il devint rouge, il éructa, ses yeux roulèrent, il en voyait vraiment de toutes les couleurs. Mais quand la tour vint en h3, il sentit que ça allait chauffer pour son matricule. Fais du feu dans la cheminée, je reviens chez nous

Je le gratifiai d'un sacrifice du cavalier puis je donnai mon fou et le mat s'ensuivit.

C'est ainsi qu'au tournoi open de Guichen, en 1992, moi, Joe Krapov, 1710 points au classement ELO, je battis Harry Krasparov, classé 1930. Avec une combinaison dont il m'avoua à l'analyse qu'elle était un peu dégarnie de dentelle. Je le lui concédai bien volontiers, ajoutant ceci, qui est de Proust, je crois : « Il n'y a rien comme le désir de gagner pour empêcher les choses qu'on fait d'avoir aucune ressemblance avec ce qu'on a dans la pensée ».

Il me regarda interloqué : le pauvre Harry ignorait que dans le fin fond de la Sarthe ou j'exerçais alors mes talents de pousseur de bois, ma réputation d'arnaqueur était déjà assez bien établie !

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