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Le cahier de brouillon de Joe Krapov
2 mars 2012

99 Dragons : exercices de style (Joe Krapov)

ACTE 1 SCENE 1

La scène représente une auberge à Silène en Libye en 300 après Jésus-Christ. Pierre, Bertrand et Jehan sont assis et consomment à une table tandis que l’aubergiste essuie les verres au fond du café en sifflant un air d’Edith Piaf. Entre Boucicaut, en larmes, coiffé d’un képi de légionnaire et sentant bon le sable chaud.

 

Bertrand – Hola, tavernier ! Mettez donc une cervoise de plus pour notre ami Boucicaut !

Boucicaut – Eh bien ça y est mes amis ! Nous voilà débarrassés du dragon ! Mais quand même ! Quand j’y repense ! (Il s’assied et se met à sangloter)

Pierre – Eh quoi, Boucicaut… Tu sembles bien regretter quelque chose !

Jehan – Peut-être bien qu’il est déçu par la tête du vainqueur du monstre. Ou surtout par le fait qu’il s’agit d’un étranger !

Bertrand – C’est vrai, ça la fiche mal qu’on n’ait pas été foutus, à nous tous, de conjurer le sort qui nous avait été jeté.

Boucicaut – Quand même … Bou ouh ouh !

DDS 183 Saint-Georges 3Jehan – J’aurais bien voulu t’y voir, toi, face à cette bestiole infernale ! Tous ceux qui s’en sont approchés pour l’affronter sont tombés inanimés, intoxiqués à cause de son haleine pestilentielle. Des monstres qui crachent des flammes, qui ont des griffes pointues, douze têtes qui repoussent une fois qu’on les a coupées, ça, moi, Môssieu, je te les estourbis en cinq secs quand tu veux. Mais qu’est-ce que tu veux faire contre un dragon qui empeste le Munster avancé et le fromage corse des maquis reculés ?

Pierre – C’est vrai que terrasser le dragon et dragouiller en terrasse, ce n’est pas la même chose ! N’empêche, l’étranger, lui, il a réussi !

Bertrand – Moi je dis qu’il a triché pour pouvoir épouser la fille du roi !

Boucicaut – Quand même ! Quand je repense à elle ! Bouh ouh ouh !

Jehan – Triché ? Comment ça !

Bertrand – Oui, il a triché, le Georges de Lydda dirladada ! D’abord son épée n’était pas de taille réglementaire ! Et puis ce signe, là, qu’il a fait. Si ce n’est pas de la magie noire, qu’est-ce que c’est ?

Jehan – C’est un signe de croix, idiot ! Et tu as intérêt à t’y habituer maintenant parce que tu vas le voir faire. Plus souvent ! pas qu’un peu !

Pierre – Magie noire, magie blanche…En tout cas, l’étranger, il nous en a débarrassés, de l’oppresseur.  On allait se retrouver sur la paille à lui  refourguer toutes nos brebis, nos agneaux, nos bestiaux et voilà qu’il exigeait nos enfants. Heureusement le sort est tombé sur la fille du roi.

Bertrand – En même temps, nos mouflets, pour la vie qu’on leur fait ! Autant qu’ils finissent là, au chaud !

Boucicaut – Bouh ! Ouh ! Ouh !

Pierre – Holà, tavernier ! Donne-lui tout de même à boire ! Et amène-nous la piste de 421 et les dés. On joue quelques sols, messeigneurs ?

Jehan – Ah non, Pierre ! C’est interdit, ça désormais !

Pierre – Comment ça, c’est interdit ?

Bertrand – Oublierais-tu que nous avons tous été baptisés avant le combat ? Nous nous sommes convertis à la religion des Chrétiens. Et celle-ci interdit les jeux d’argent.

DDS183giogiodechirico-saint-georgesPierre – On va quand même pas miser des haricots ? Maman m’a toujours interdit de jouer avec la nourriture. Il nous emmerde, ce Georges ! Ah ben zut alors mais  tu me la copieras, celle-là ! Les étrangers, quand ils sont plus de trois, déjà, ça me donne des boutons mais alors celui-là, à lui tout seul, bonjour les dégâts ! Tout ça pour que Dgeorges épouse la princesse au petit pois dans la tête, c’est trop fort.

Jehan – Il ne l’épousera pas.

Pierre – Ah bon ? Il va juste lui faire son affaire et se tirer ? Et le roi a accepté ça ?


Bertrand – Il est déjà reparti, le Georges. Il veut mourir au combat, tout seul face à l’artillerie, j’ai pas trop compris. Il veut se faire « canoniser », qu’il disait !

Boucicaut, redoublant de larmes - Cette pauvre Blanchette !

 (On entend au dehors les cloches qui sonnent.)

 Pierre – Qu’est-ce que c’est que ce boucan-là ?

Jehan – Ce sont les cloches. Il faut qu’on arrête tout et qu’on aille à la messe.

Pierre – A la quoi ?

Bertrand – A la messe. Viens, tu verras ! C’est un truc en latin, y’a un gazier qui cause, on y comprend rien, on chante, on se lève, on se rassied, c’est très reposant au total !

Pierre – Et… on est obligés d’y aller ?

Jehan – Eh ben ouais ! On a promis ! Maintenant qu’on est baptisés, faut tout faire comme eux !

(Ils se lèvent tous sauf Boucicaut toujours noyé dans son chagrin.)

Bertrand – Tu viens, Boucicaut ?

Boucicaut – Cette pauvre Blanchette ! Si seulement ce con était venu deux jours plus tôt, elle serait encore en vie !

(Et il reste effondré sur le guéridon de la taverne à pleurnicher de plus belle.)

Pierre : Qu’est-ce qu’il a avec sa Blanchette ? C’est sa fille ? Le dragon la lui a bouffée ? Ou alors sa femme ? Mais je ne savais pas qu’il était marié !

Jehan – C’est sa chèvre !

(Ils sortent.)

 

SCENE 2

 

Roger (c’est le comédien qui interpréte Boucicaut. Il relève la tête et s’adresse à Thierry, le metteur en scène qui est assis dans la salle) – Je ne comprends vraiment rien de rien à ton concept de mise en scène ! Pourquoi est-ce que je porte un képi, d’abord ? Ca se déroule en 300 après Jésus-Christ !

Thierry – Roger, tu es un légionnaire romain qui a déserté !

Roger – En emportant le képi ?

Thierry – Le personnage est un grand sentimental, au cas où tu n’aurais pas remarqué !

Roger – Mais c’est complètement anachronique ! Les Romains portaient des casques à l’époque ! Et ce décor de machines à coudre et de phonographes, typiquement années 1950, qu’est-ce que ça vient faire là ?

Thierry – Roger ? Tu te rappelles le titre de la pièce ?

Roger – « 99 dragons, exercices de style ». Ca a à voir ?

Thierry – Ca a à voir ! Les exercices de style, c’est un livre de Raymond Queneau, un auteur qui a eu son heure de gloire au siècle dernier. Comme toi . Sauf que lui il est mort et que toi tu joues les prolongations ! L’auteur de cette pièce-ci a entrepris d’écrire 99 versions de la légende de Saint-Georges tuant le dragon en reprenant la formule de Queneau, une même histoire racontée de 99 manières différentes.

Roger – Mais alors… Pourquoi les personnages portent-ils les prénoms des compagnons de Thierry la Fronde ?

Thierry – Bon, tu nous fais perdre du temps. Va rejoindre les autres et appelle Judas pour la scène 2

 Roger sort

 Thierry, à part – Lui, quand il a commencé à jouer au théâtre, les décors étaient de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell ! Et je commence à comprendre pourquoi il n’a jamais été ne serait-ce que nominé au Molière des lumières !

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