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Le cahier de brouillon de Joe Krapov
27 septembre 2012

UNE AVENTURE D’EARL GREY par Joe Krapov

MIC 2012 09 26 Earl Grey

On entendait voler les mouches. Elles tournaient autour des cornes de gazelles, passaient de l’ombre du palmier à la route de terre rouge écrasée de soleil, revenaient vers la table où je m’étais posé.

A part ce bourdonnement familier c’était Waterloo morne plaine. Enfin, si on peut dire. On n’avait pas vu la pluie par ici depuis au moins quarante siècles et seul le vent soulevait quelquefois la poussière, histoire qu’on puisse dire « Tiens, il s’est passé quelque chose. On a eu un grain. Comme en Bretagne, sauf que c’était à l’œil. Dans l’œil.".

A l’intérieur de sa cahute, Oussama terminait sa vaisselle. Il avait fait lui-même les pâtisseries à la pistache et il s’arrangeait pour que tout soit nickel avant que son invité n’arrive.

Quand il eut terminé, il revint au-dehors avec deux soucoupes, deux tasses et – horreur, malheur salsaccharose du démon ! – un bol empli de morceaux de sucre.

Il posa le tout à mes côtés, prit une chaise, s’assit et ouvrit le journal du jour à la page des obsèques. Entre deux annonces de disparition il regardait sa montre et jetait un œil sur le bout de la route droite. Pendant longtemps il n’y eut rien que le « Bzz ! Bzz !» des diptères.

Et puis, là-bas à l’horizon, apparut bientôt une mouche plus excitée que les autres. Elle soulevait un nuage de poussière derrière elle, se déplaçait au ras du sol d’un mouvement régulier et hyper-rapide. Elle portait un casque réglementaire par-dessus son turban et une barbe à quinze points au-dessous de son menton.

Le vroum-vroum du vélomoteur s’amplifia et ce vieux plaisantin d’Omar ne put s’empêcher, en arrivant, d’effectuer un dérapage contrôlé avant d’aller poser, à l’ombre, près de nous, sa mobylette particulièrement puante : pas moyen d’échapper à son pot pourri.

- Salut Omar ! s’exclama Oussama. Ca boume ?
- Ca boume, mon frère. Ca vroume, même !
- J’ai vu ça ! Comment vont les affaires ?
- C’est mollo-mollo en ce moment, répondit le mollah. Et toi, les amours ?
- Ici, forcément, c’est un peu comme lancer phalle au gramme : plat. A part ça, veux-tu prendre une tasse de thé ?
- Très volontiers !

Il s’approcha de moi, me souleva et me versa dans les deux tasses.

- Vus de loin, on a l’air de deux conspirateurs du Tea party, tu ne trouves pas ?
- Très drôle, Oussama ! A ta santé !

Mais qu’est-ce qu’il fait, cet idiot d’Omar ? Voilà qu’il s’empare de la pince à sucre, qu’il saisit un morceau et me le balance par-dessus la tête. Puis un deuxième et encore un troisième.

Houlà ! Je sens que je perds goût à la vie ! J’ai envie de crier «Au sacrilège ! Au blasphème ! A l’infâmie ! A l’hérésie ! A la caricature ! ».

Histoire de m’achever, il me file un grand coup de cuillère, brasse le tout et me transforme, le monstre, en Loch ness déchaîné.

Ca y est. C’en est fini. Je le hurle en silence, je l’écris en lettres de sang sur le mur des lamentations liquides. J’en appelle à Dieu pour qu’il me venge de ce criminel après ma disparition :

- Omar m’a touiller ! »

 

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