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Le cahier de brouillon de Joe Krapov

3 janvier 2013

Une vie de – bâton de – chaise ? (Joe Krapov)

Aujourd’hui, j’ai passé une bonne nuit. Le petit cabinet que l’on m’a octroyé dans l’aile gauche du château est décoré d’estampes représentant des scènes de chasse. La fenêtre donne sur la cour et le doux clapotis de l’eau dans les bassins a bercé mon sommeil de sa musique régulière.

Mais le soleil est arrivé et il va falloir que j’aille au travail. Ou plutôt qu’on m’emmène au travail. On n’a pas encore l’habitude par ici d’équiper tout un chacun de roulettes. Le skateboard et le patin en ligne attendront quelques siècles encore.

On me prend donc par les bras et l’on m’emporte avec aisance car je suis assez légère vers le lieu de spectacle où je vais faire mon office. Ma participation au show est à vrai dire assez minime car je suis du genre statique.

C’est l’autre emperlousé qui fait tout avec le petit Chose et les deux orphelines. A peine a-t-il paru que l’on se presse autour de lui, qu’on s’empresse de savoir s’il a bien dormi, si les bijoux de la famille sont toujours bien conservés, s’il va bien.

Ca, pour aller, il va. Il y a même des jours où il va tellement bien que j’ai envie de crier pouce. Et quand il ne va pas, ce sont ses coaches qui crient "pouce" mais avec deux esses. A la fin du spectacle tout le monde l’applaudit. Il n’y a pas de cérémonie de remise des prix. Ma participation au show me vaut une médaille de bronze mais j’aimerais bien qu’on me la remette avec un peu plus de respect.

Je ne demande pas la Lune, quand même ! Je l’ai déjà. Simplement, comme Diogène en son tonneau, je rêve que les plus grands s’ôtent de mon soleil. Vouloir s’élever, dans la vie, vouloir aspirer à la pureté des cîmes, à la grandeur des pins des Landes plutôt qu'à celle des rupins de Versailles, ça n’est pas un crime d'alèse-Majesté ? Si ? Le quotidien est parfois si ennuyeux et trivial pour les magistrates du siège ! La poule au pot tous les dimanches, ça c’est un programme qui m’aurait plu, bien davantage que ce « les tas, c’est moi » auquel je suis condamnée, percée jusques au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortellement pestilentielle.

DDS 227 Louis XIV

 

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22 décembre 2012

LE PREMIER REVEILLON AVANT/APRES LA FIN DU MONDE par Joe Krapov

MIC 2012 12 17 Tarzan

Tarzan gara le Jaguar tout le long du trottoir. Il en descendit, entra dans la hutte et dit à Jane (dont le rôle est tenu, dans cette version inédite, par Mlle Birkin, avec un accent British assez prononcé) :

- C’est la fin Jane !
- La fin du monde ? La fin des z’haricots ?
- Non, la fin de l’année. Ca va être Noël et j’entame ma déprime annuelle. Rien que l’idée de réveillonner avec les autochtones me fiche le blues. Et pas qu’un peu !
- Je vois pas où est la problème ?
- Est-ce qu’on invite ou pas l’éléphant, cette année ?

éléphant bleu

- Ah non, pas lui ! C’est un gros maladroit ! Il a voulu s’occuper de l’irish coffee le année dernière. Résultat, il a fichu toute ma service de porcelaine par terre !
- Je vois que tu as bonne mémoire, toi aussi ! Je ne veux pas avoir l’air de prendre sa défense mais on aurait pu le cantonner au lavage de la vaisselle. Il a de bonnes dispositions pour ça, si je ne me trompe.
- Tout le repas il a craché dans la soupe sur mon cuisine et tu voudrais qu’il met les pieds dans le plat à la fin ?
- Il adore jouer à l’eau. Est-ce qu’on invite aussi notre voisin Clarence, le lion qui louche ?
- Ah mais lui il est au régime sans gazelle. Le dinde va être encore plus fade si je la mets pas. Et s’il n’y a pas de cornes de gazelle au dessert tu vas pas être content.
- Oui, c’est gênant, je raffole de ça. Raye le. Comme le zèbre d’ailleurs.
- Oh oui, c’est un drôle de zigoto lui. Il fait toujours le zouave et avec ses grandes dents il a laissé des rayures sur mes coupes à Champagne. Un verre ça va, trois bonjour les dégâts. Invite pas non plus le girafe, il a pas de conversation.
- C’est normal, elle est muette. Moi je n’aime pas sa propension à tout prendre de haut.

MIC 2012 12 17 cheeta1

- C’est vrai, il est très collet monté. On ne va tout de même pas inviter les copines de Cheetah.
- Ah ça ! L'année dernière elles n’ont pas arrêté de faire le singe à table. La soupe à la grimace, chercher des poux à sa voisine, ça va bien cinq minutes.
- Et puis elles vont nous coûter une fortune en cacahuètes !
- J’ai une idée ! Il y en a un qu’on n’a jamais invité et pour lequel tu n’aurais pas à te mettre en frais. C’est le wapiti !
- Pourquoi ? Il mange pas, lui ?
- Si mais le wapiti vient en mangeant !
- Warf ! J’ai une autre idée. Pourquoi est-ce qu’on s’embête avec ces animaux que ils sont tous des mal élevés et des incultes : ils n’ont jamais vu une bœuf et une âne dans un étable ! Pour une fois, on pourrait aller réveillonner en ville.
- En ville ? Retourner à la civilisation alors que c’est la crise partout ? Tu crois que nous en sommes capables.

MIC 2012 12 17 cible catalane

- Depuis le temps que tu as promis de m’emmener à Barcelone, pourquoi pas cette fois ?
- Barcelone, Barcelone ! Mais pourquoi tu fais une fixette sur Barcelone ?
- Parce que ici le réveillon ça va être le cata rapide alors que là-bas ce sera le cata lent.
- Bon, allez, tu as gagné. La parole est toujours en retard sur le coeur mais puisque je t’ai donné ma parole et mon cœur, je vais respecter mes engagements. Je vais faire les réservations sur Internet.
- Tarzan ?
- Oui, Jane ?
- On va en Espagne. Songe à mettre autre chose qu’un pagne dans ta valise !
- Ahaouahouahouahaou ouiiiii ! Est-ce qu’on emcarmène Cheetah avec nous ?
- Bien sûr !
- Bon, alors dans ce cas, je vais emcarmener aussi mon habit de toréador. Oh ma chérie, dépêche-toi de finir ton sac : je vois sur le site de la STAR qu'on a une liane à 11 h 45 qui nous mène directo à l’embarcadère de l’African Queen !
- J’arrive ! A nous Barcelone et la Catalogne ! Allez Cheetah ! On va prendre la bateau ! Gare à la Gaudi-i-i-i-iille !

 

MIC 2012 12 17 fanion catalan

 

21 décembre 2012

Lettre à Monsieur le Directeur du Musée du Louvre à Lens (Joe Krapov)

Cher Monsieur

 

DDS 225 Bertin par Ingres

Mon épouse et moi-même avons été très déçus par la visite de votre institution. Nous avons trouvé que « le portrait de Monsieur Bertin, mineur silicosé » par Jean-Dominique Ingres manquait un peu trop de vraisemblance. On voit là un bourgeois quelque peu enveloppé, à la limite de l’apoplexie d’avoir trop mangé de carbonade flamande, et c’est peint avec un style très réaliste sauf que ce monsieur a plus une tête de professeur en retraite que de prolétaire à l’article de la mort. Mais bon, je vous l’accorde, Germinal est loin derrière nous, tous les puits de mine ont fermé et des anciennes "gueules noires" ne restent que les veuves. Mettons aussi à part le fait que monsieur Ingres était tellement miraud que toute sa vie il a cru qu’il jouait du violon alors qu’il faisait de la peinture. Comme Beethoven mais dans l’autre sens.

Ce qui nous a vraiment déçus, c’est ce qui n’était pas là, et donc, essentiellement, la Vénus de Milo à qui nous vouons une passion sans bornes, un amour superbe et généreux. Voyez-vous, nous avions beaucoup à offrir à cette brave dame. Elle s’est élevée jusqu’à la célébrité à la force du poignet, elle n’a jamais ménagé ses efforts pour satisfaire tout le monde bien qu’elle n’eût pas quatre bras et elle a fait tant et si bien des pieds et des mains qu’elle est devenue l’attraction n°1, avec Madame la Joconde, bien sûr, de votre antenne parisienne.

 

DDS 225 Venus_de_Milo_Louvre_Ma399

Mon épouse et moi sommes de fervents admirateurs de cette top-model des temps antiques et pas en toc. Nous avions eu l’idée, en remerciement de votre implantation dans notre région, en plus des dix euros que je joins à ce courrier pour vos oeuvres, d’essayer de réparer les outrages des ans. En effet, en tant qu’anciens commerçants de la place d’Hénin-Liétard, nous tenions le magasin de vêtements « Au mineur-campeur ». A la retraite bien sûr, nous avons fermé boutique mais nous avons conservé une partie de notre stock et notamment les mannequins que nous exposions dans la vitrine. Je pense que dans toute cette équipe de bras cassés nous aurions pu trouver quelques membres encore actifs pour rendre à la Vénus son intégrité corporelle. La pauvre a bien mérité elle aussi une petite séance de chirurgie esthétique et ici, dans le Nord, comme on a dans le cœur le soleil qu’on n’a pas dehors, on était prêts à vous céder gratuitement ces rallonges.

Si notre proposition vous intéresse, vous pouvez passer chez nous à l’heure du café dimanche prochain. On passera la wassingue exprès, on vous offrira la bistouille pour discuter de cela et aussi des œuvres picturales d’Isidore Ducasse que notre voisin, M. Pivoine, ancien tenancier de manèges, pense avoir dé(mar)gottées à la dernière braderie de Lille.

 Nous habitons toujours au-dessus de notre magasin, place Fernand Darchicourt (comme les bras de la Vénus !) au n° 3 à Hénin-Beaumont. Dans l’attente de votre visite, nous vous souhaitons, cher Monsieur le Directeur, bonne installation en pays minier et bienvenue chez les Ch’tis.

                                     Louis et Marie-Anne Grosquinquin

N.B. Si ce type de courrier vous plaît, chères et chers Défiant(e)s, je vous recommande la lecture de « Moi et la reine d’Angleterre » de Patrice Minet qui a consacré tout un livre à sa correspondance rigolote avec des personnalités diverses et variées.

12 décembre 2012

Végétariens s'abstenir ! (Joe Krapov)

Végétariens, végétariennes, s’abstenir ! A midi, il y aura du cadavre d’animal dans les assiettes ! Mais avant cela il me faut attendre dans la queue, parmi des mamies à caddies (et pas des mamies d’Acadie chères à Michel Fugain) et des retraités heureux : il leur est resté des dents.

DDS 224 120716 027

Heureusement le bestiau crevé ne sent rien ! Sa viande est suspendue aux esses. L’usage de ce substantif ne vise pas à faire la preuve que l’auteur a des lettres mais qu’il a pratiqué jadis le cruciverbisme, le scrabble et l’anagramme ! Le quartier entier vient ici acheter l’élément central du repas de midi, ces quartiers d’animaux que l’artisan divise en suivant les desiderata que ses clients émettent. Derrière chaque demande il y a ce cri ancestral : « Pas de quartier !». Une devise de sauvage qui traverse le temps ! La vie est ainsi faite qu’elle est cruelle aux faibles. Ici, de la queue du taureau aux entrailles de la génisse, la chair de l’animal abattu est charcutée, parée, débitée dans une ambiance finalement assez gaie : les mecs en tablier et chemise bleu gris sifflent des airs de « La Vie parisienne » tandis qu’un peu de sang s’épand de ci de là cahin caha sur le marbre et le carrelage. Mais la sciure, c’est bien là qu’elle a de l’utilité !

Déjà, dans la vitrine du magasin, celle sur laquelle les passants zyeutent depuis la rue, un pauvre veau au regard éteint fait la tête, dans une indifférence généralisée, parce qu’il lui a été inséré dans chacune de ses narines un paquet bien vert de branches de persil. Quelle idée, franchement ! Il y a un chant ancien qui parle de cela, qui fait rire plus d’un pékin en disant l’absurdité de cette pratique, en la ramenant à l’humain.

Pendant l’attente dans la file, j’ai une pensée émue à l’égard du sieur J.-C. Averty en apercevant l’équivalent de ses bébés trucidés. Leur chair hachée pend tristement à la grille de la machine à décerveler. Celle-là eût plu à Ubu, le déjanté Sire né à Rennes. Ah la la qu’est-ce que Jarry, mais en silence quand même, des cheminements de ma culture qui va du télévisuel au théâtral en passant par le musical ! Qu’est-ce que je trimballe, décidément !

Au frais, derrière les vitres réfrigérées, des tas de victuailles attirent les regards des clients. Le cervelas ne se lasse pas de pulluler, l’araignée rêve de s’appeler Gipsy, la bavette demande à être taillée, l’aiguillette perd le fil de ce que jaspine la crépine, la macreuse aguiche la cliente à belles miches. Le faux-filet sait bien qu’il est destiné à finir emmené dans un vrai. La langue rêve-t-elle déjà de persillade ? Le veau a-t-il idée qu’une certaine Paulette sera décrétée par l'assemblée rassasiée reine des paupiettes ?

Vu que le maître de céans fait aussi charcutier-traiteur, il y a des chapelets de saucisses, des pâtés divers, des plats préparés à réchauffer, du hachis Parmentier, du museau vinaigrette, des pieds panés… D’aucuns, d’aucunes, par avance, se lèchent les babines. Simplement, ainsi que je le disais au début, végétariens s’abstenir !

Je n’ai qu’une autre certitude en ce lieu c’est que la brave dame assise dans sa caisse dégage une sensualité intense. Elle aussi est bien en chair et elle dégage autant de sex-appeal que la caissière du grand café chère à Fernandel. Le travail fini, le rideau de fer baissé, les carcasses rangées, à l’abri des regards mais si près de la rue, il s’en passe certainement de belles dans ce ménage ! J’aime à imaginer les étreintes enivrantes auxquelles les a menés leur désir exacerbé par l’inactivité, l’attente, le bruit du maniement des tranchelards, des lames et des instruments de métal qui s’abattent sur les carcasses, les pénètrent, les lacèrent, en extirpent le meilleur, les agitent, les emballent, et bibi, lui aussi, dans la file d’attente des tapas s’emballe : se peut-il que le charcutier manie avec la même vigueur sa mie que sa galantine ? Que la vue permanente sur ces cylindres durs, ces messieurs musclés qui s’agitent, à elle, lui fasse un effet… stimulant ? Qu’ils ahanent pendant le déduit, ici-même, sur l'étal, les pieds dans la sciure... ?

Mais il faut que je cesse de décrire ce lieu et d’énumérer mes fantasmes d’égrillard quasi Strauss-Kahnien, bien allumé, bien grillé, qui, bien avant que les Chrétiens ne célèbrent la naissance du Christ et que le vieux barbu qui passe par la cheminée n’entasse au pied du sapin les cadeaux des bambins, se farcirait bien la dinde aperçue là, qui ressemble un peu à Pétula Clark. Mrs, please, clarkez lui le beignet à l’Augustin !

- Qu’est-ce que ce sera ? demande le mari de la belle aguicheuse.

- 200 grammes de steack haché.
- Il y en a un peu plus. Je le laisse ? Et avec ça ?
- Une demi-épaule d’agneau.

DDS 224 peggy

Je lui permets de me suggérer d’en faire un navarin - pas la peine de lui parler de cuisine indienne, à lui, byriani, il ne sait certainement pas ce que c'est ! - puis je vais à la caisse régler mes achats à Peggy. C’est ainsi que j’ai baptisé la femme du butcher, du blase de la peluche à grand cils des Muppets.

Je lui tends un billet de vingt, elle m’en rend un de cinq et des petites pièces et, je ne rêve pas, me glisse un petit papier manuscrit plié en quatre dans la main.

Je quitte l’établissement en saluant ces braves gens, je fais quelques pas dans la rue et m’arrête devant la pharmacie. Là je déplie le truc et je lis :

Cher Augustin
J’ai bien reçu ta lettre. Je ne savais pas que tu m’aimais autant. C’est d’autant plus curieux que tu ne m’as jamais fait d’aveux ni laissé paraître aucun signe de cela auparavant. Cependant – ne jette pas la pierre à la femme adultère ! - l’idée d’une aventure ensemble m’intéresse bien. En vue de se divertir Maxime va passer quelque temps, chaque mardi après le travail au club de bridge de l’avenue Trudaine. Le quartier est ainsi libre, si je puis dire. Viens vers 21 heures. Tape sur le rideau de fer, je serai derrière et te ferai entrer dans le magasin et peut-être dans ses dépendances si affinités. Je t’assure que tu ne seras pas déçu de la visite. Tendrement. Emmeline Sanzeau.

La lettre que j’avais perdue ! C’était ici, l’autre matin en achetant du lapin ! C’est elle qui l’a ramassée ! Une lettre destinée à Irma, l’assistante de la cantatrice. Dans quel pétrin me suis-je fichu ? En même temps, quand le rêve d’un instant devient réalité, faut-il cracher fâché sur le lama argenté ?

***

Pendant ce temps, au château, un énième appel mal aiguillé retentit, dérangeant le capitaine dans sa sieste.

DDS 224 boucherie sanzot


P.S. Les plus perspicaces des lecteurs et lectrices du Défi du samedi l'avaient deviné, bien entendu. Maintenant les autres savent quelle lettre a disparu dans ce texte qui aurait peut-être pu aussi s'appeler "une aventure inédite de Tintin" mais je ne veux pas d'ennuis avec Casterman !

 

12 décembre 2012

L’ASSASSINAT DU VENTRILOQUE PAR LES SŒURS DE MISERICORDE par Joe Krapov

MIC 2012 12 10 vintage+paris+20s-e1321652582276

Il y a deux dames à la terrasse du café.
Elles ont l’air de cachottières.
Si on regarde un peu comme elles sont attifées,
Comme elles savent rester fières,
On ne devinera jamais laquelle, plus que l’autre cinoque, 
Rêva d’assassiner l’artiste ventriloque.

La vie est dans les plis. Je ramasse les cartes
Et je fais un vœu pieux pour que vite s'en viennent
Un Lacédemonien tout droit issu de Sparte,
Une valse de Vienne
Forcément un peu lente
Et une immense étoile filante.

 

MIC 2012 12 10 vintage+paris+20s soeurs Papin

Il y a deux mousmés curieuses chez le Bougnat.
Elles ont l’air de sortir d’une soucoupe volante.
Si on regarde un peu leurs lèvres incarnat
Et leurs bijoux grenat, insignes d’élégantes,
On ne devinera pas laquelle en a trop dit
Sur les mœurs dépravées de l’artiste maudit.

La vie est dans le jeu. La vérité culbute
Les mots qui se bousculent au portillon du soir.
Moitié anges, mi-démons, mi bourgeoises, moitié putes !
Qui trouvera la clé du sinistre boudoir
Où, pour un mot de trop qu’avait sorti son ventre,
L’homme gît, l’homme geint comme un ours dans son antre ?



MIC 2012 12 10 vintage+paris+20scérémonie

Il y a deux criminelles attablées au bistrot.
Elles ont l’air d’avoir un peu forcé la dose.
Si on regarde trop sur le plan du métro
La station Châtelet, c’est certain, on s’expose :
On ne devinera pas ce que coûte l’excès
D’écrire au juge afin qu’il engage un procès.

La vie est dans le ventre. Il est temps de me taire
Et d’offrir au papier quelques phrases, sans plus.
Que puis-je dévoiler de mes savants mystères ?
Ce que vous entendiez ? Une voix de surplus,
Un masque vénitien sous une bauta,
Du clinquant surfilé sur un vieux taffetas.



MIC 2012 12 10 vintage+paris+20s-judith

Il y a deux assassines et le garçon a peur :
Elles s’en vont saisir le siphon sur la table.
Si on regarde un peu comment étaient leurs mœurs
Et leur désir profond de devenir pendables
On ne devinera pas laquelle a fait le coup,
Qui a lié les pieds, qui a tordu le cou.

La vie est dans les mots ? L’homme s’est fait silence.
Nul ne soupçonnera la femme au chapeau cloche.
Du cadavre déjà monte la pestilence.
A l’âge qu’il avait, vraiment, mourir, c’est moche
Et nul n’a recueilli sa dernière parole.
Pour la première fois de sa vie, véridique,
Pour la première fois de sa mort, fait unique,
Le ventriloque n’est pas drôle.


Mais la voix de Cohen est toujours aussi grave

Qui semble venir d’outre-tombe.
Quelquefois aussi ça me gave
D’être celui qui fait la bombe.

 

 

N.B. Sur les trois collages de Jean-Emile Rabatjoie, on aura reconnu les soeurs Papin, Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert dans "La Cérémonie" de Claude Chabrol et Judith et sa complice par Cristofano Allori et Artemisia Gentileschi.

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4 décembre 2012

MÊME PÔ PEUR DE BLASPHEMER ! par Joe Krapov

Non, rien n’est plus calamiteux,
Pitoyable, miteux, piteux
Que l’arrogant ubiquiteux
Qui t’envoie promener là-bas
Pour que tu vérifies s’il y est.
Tu y vas et… il n’y est pas !

L’ubiquiteux, s’il est malin
Se trouve au four et au moulin,
A l’Ouest et à l’Est de Berlin,
Avec les bons, avec les brêles,
Si tu le suis à la jumelle
Surtout ne m’l’ubiquiteux pas !

Il a des yeux derrière la tête,
Il a oublié d’être bête,
Il participe à toute fête,
Il pêche au grand jour en eau trouble
Il boit plus que nous pour voir double
Puis il se répand en injures,
L’ubicuiteux à la dent dure,

Contre le fait vraiment odieux
De n’être pas l’égal de Dieu,
Ce rigolo sans feu ni lieu
Qui prétend nous suivre partout,
Etre responsable de tout
Et quand tu le sonnes : personne !

MIC 2012 12 03 cabine-telephonique-belge-2

Non, rien n’est plus calamiteux,
Pitoyable, miteux, piteux
Que l’arrogant ubiquiteux
Qui t’envoie promener là-bas
Pour que tu vérifies s’il y est.
Tu y vas et… il n’y est pas !

29 novembre 2012

La chanson des optimistes (Joe Krapov)

Mais c’est rien, la fin du monde ! C’est rien du tout !

Et puis vous n’allez pas tout de même pas croire des charlatans qui n’ont même pas été fichus de prévoir l’écroulement des deux tours du World Trade Center ni le tsunami au Japon ni Tchernobyl ni Fukushima ni le Pen au deuxième tour en 2002 ni la défaite de Sarkozy en 2012 ni l’éclatement de l’UMP ni la chute du mur de Berlin ?

Quoi ? Vous continuez de porter du Paco Rabanne ? Vous non plus vous ne croyiez pas à l’efficacité de la ligne Maginot contre l’avancée des chars russes après l’élection de Mitterrand en 1981 ?
Puisque je vous dis que ce n’est rien, la fin du monde !

L’Empire romain s’est écroulé mais ça n’a pas empêché Mussolini ni Berlusconi de manger des macaronis entre deux séances de bunga-bunga ?
On a connu le sac de Rome mais Gucci en vend de très beaux et ceux d’Hermès ne sentent pas le pâté non plus ! (J’espère qu’ils vont me verser quelque chose pour leur avoir fait de la publicité par ici !).
Pompéi a disparu mais Pont-Péan  est toujours debout !

Tout le monde est rivé devant l’écran, fiché sur Facebook, abêti par la téléréalité et les journaux gratuits mais personne ne m’empêche de lire « Le Canard enchaîné », l’hilarante autobiographie de Neil Young, de chanter du Brassens et de déblatérer sur le Défi du samedi ! Alors ? Il ne va pas bien, le monde ? Il arrive à sa fin ? Il y aurait un terme à ce paradis ? Allons donc ! C’est comme si un stupide médecin voulait me faire croire que je ne suis pas immortel ! J’en ris d’avance !

La Bérézina ne fut pas une mince affaire et Waterloo a été une morne plaine mais même si tout empire chaque jour, vous buvez toujours autant de fine Napoléon qu’avant, non ? C’est la crise depuis 2008 mais le code civil est toujours debout et les institutions comme le mariage n’ont jamais fait autant florès, non ? C’est bien simple, le fait de se passer la corde au cou rend tout le monde gay ! Rions, mes frères, marions, mon maire, parions, mes pairs que le 21 décembre au soir mon cher oncle Walrus me maudira encore et toujours d’avoir posté si tard mon billet de tocard (je mériterais un sceptre !) pour le Défi du lendemain !

La fin du monde ! Vous me faites rire !

Par contre, vous imaginez ? Si vous attrapiez « cette maladie infectieuse due à la bactérie Streptococcus pyogenes, un streptocoque du groupe A, grandes colonies » (et pas de vacances !) et que ça vous flanque plein de boutons sur la peau ?
Un truc « complètement toxinique, c'est-à-dire que les streptocoques sécrètent des toxines dites érythrogènes encore appelées exotoxines pyrogènes : A, B, C, D. » Qu’en plus « ces toxines sont immunogènes, elles sont responsables d'une vasodilatation, associée à un œdème dermique et à un infiltrat lymphocytaire. » Hein ? Vous voyez d’ici le tableau ? Vous vous imaginez avec « la coloration rouge-lilas caractéristique de la peau que confère cette affection, provoquée par les toxines érythrogènes secrétées par les streptocoques » (oui je sais je l’ai déjà écrit mais comme j’imite Houellebecq – une fin du monde à lui tout seul, ce mec-là ! - et que je recopie le descriptif de Wikipédia pour tirer à la ligne, ce n’est pas moi, ce sont eux qui se répètent !). Je vous entends gémir d’ici, le jour où vous aurez chopé la deuxième maladie ! (« Le nom « deuxième maladie » provient du fait qu'à l'époque où l'on a voulu établir une liste des maladies provoquant un exanthème infantile, elle a été la deuxième à être énumérée »).

Non, non, en vérité, je vous le dis, croyez en ma longue expérience, la fin du monde, ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine ! 

28 novembre 2012

L'aventure d'une vie par Joe Krapov

"Quel besoin avons-nous de quitter nos tanières ?
N’étions-nous pas heureux auprès de nos parents ?
Ils nous avaient bordés de bonheurs apparents
Et nous sommes partis courir dans les ornières !

Allons ! En vérité, sont-ce là des manières ?
Loin des yeux, loin du cœur, toujours désobligeants,
Nous leur vantons l’Ailleurs ! Nous sommes affligeants
A brandir dans le vent du chagrin nos bannières

D’aventuriers soucieux d’aller toujours devant
Affronter des armées de vieux moulins à vent !
Eux restent pleins d’amour vieillissant à l’arrière.

Nous les voyons aller un peu couci-couça,
Papa qui ne dit rien, maman qui fait la fière
Ils sont du même signe que Sancho Pança."

L’animateur a posé son stylo, a repris la carte postale et l’a relue :

MIC 2012 11 26 Carte postale verso

MIC 2012 11 26 Quijote et sancho

Il a pensé qu’il en était de même pour tout le monde : ce n’est pas rien d’être parent. Pour certains c’est une fois ou deux ou trois par an que la progéniture fait un saut en voiture pour les voir se débattre avec le quotidien, pour partager les mots du mal-être au travail, ceux pires encore du malheur de n’en trouver pas ou plus, d’en être exclus parce que le monde marche sur la tête.

Il va si vite, on arrive si rapidement à l’âge d’être dépassé qu’on se retrouve un jour coincé entre des tas d’angoisses quasiment touristiques. La réservation par Internet de l’hôtel a-t-elle bien fonctionné ? Dois-je composter mon e-billet ? Ai-je pris le bon chemin ? Dans la ville, dans la vie, trouverai-je ma place ?

En Alcala de Henares, qui va pêcher Léna la petite gambas ? Dans l’auberge espagnole, trouvera-t-elle meilleure nourriture, meilleure aventure, meilleure armature qu’en l’Université de Haute-Bretagne ou pourtant les roulements du Tambour – c’est le nom de la salle de spectacle – donnent bonne culture ?

 

MIC 2012 11 26 timbales

Décrochera-t-elle la timbale, le carnet de bal exceptionnel, le Graal sensationnel, le diplôme à douze balles qui la feront danser sur l’échelle sociale, gagner une vie professionnelle aussi épanouissante que celle de papa et maman ? Cependant il faut bien avouer, maintenant qu’ils sont en retraite, que leurs souvenances se font parfois évanescentes ?

Faut-il par ailleurs se mêler de la vie personnelle de la donzelle ? Comme on lui a lâché la main pour qu’elle effectue ses premiers pas, ne faut-il pas lui lâcher les baskets pour qu’elle gère ses premières conquêtes ?

Ce qui plaît le plus à l’animateur, finalement, c’est l’axe Nord-Sud qui traverse cette carte postale envoyée par des gens de l’Ouest à des gens qui sont à l’Ouest. Car grâce à Erasmus il y a le vent du Nord qui souffle sur l’Escaut jusqu’à l’Estremadure. Sur un canal pendu une péniche lourde amène de là-haut l’éloge de la folie qui rassure sur tout ! Regarde bien, petit, dans le port d’Amsterdam, la sagesse des vieux qui contemplent le monde avec leur bienveillance, leur pendule au salon qui dit oui qui dit non, qui pensent « au suivant » et mettent, en leur tanière quelque peu désertée, des fleurs en lieu et place des bonbons d’autrefois.

En même temps, se dit-il, ça doit être un peu chiant de devenir grand-parent !

P.S. Et moi je ne vois pas pourquoi je vous embête avec ces préoccupations-là. J’ai bien le temps de les avoir plus tard : je suis comme vous, je n’ai que 23 ans !

23 novembre 2012

RONDE DES SAISONS OU SAISON DES RONDES ? (Joe Krapov)

1
Quand elles ont suivi régime
On peut parfois faire son deuil
De certaines dames accortes

A l’état de sac d’os réduites
Honorer ces côtes saillantes
Devient terrible sacerdoce

2
Quand l’automne a commis ses crimes
Il en est peu qui se recueillent
Devant toutes ces feuilles mortes

Quand vous étiez toutes petites
Vous ramassiez ces encombrantes
Et pensiez en faire négoce

3
Il est assez illégitime
De les fourrer en un cercueil
Ce serait trop d’émotions fortes

Certaines sont de vraies pépites
Leurs couleurs sont si éclatantes
Qu’on s’imaginerait à la noce

4
Pour son petit journal intime
L’adolescente émue en cueille
- Des marques pages en quelque sorte ! –

Dans ce feu tous les mots crépitent
Les confessions sont plus troublantes
Et la plume devient véloce

5
Ce que la saison froide abîme
Nous est un tel régal pour l’œil
Que sans cesse je prends la porte

Tant d’images que j’ingurgite
Loin du vieux confort des fauteuils
Avec un appétit féroce !

6
A la muse je paie ma dîme
Sous forme de photos charmantes
En espérant bien qu’il en sorte

Pour vos feuilles (*) un peu interdites
Des mélodies sérénisantes
Et des réminiscences gosses

7
Et pour vos yeux brillantissimes
Effarés des belles mourantes
Je souhaite que vous réconfortent

L’idée d’un printemps de redites
Et les chaleurs alanguissantes
D’un été toujours plus précoce !  

 

 (*) Feuilles signifie "oreilles" en argot. Beethoven avait tellement les feuilles mortes qu'il se prenait toujours des râteaux avec les filles alors que, tout le monde le sait, il suffit de leur fredonner l'air de la Sonate au clair de lune pour qu'on en arrive très vite au roulage de pelle. D'où l'expression bien connue : "les feuilles mortes se ramassent à la pelle". OK, je sors !

 

21 novembre 2012

LE PLAISIR AVANT LE TRAVAIL par Joe Krapov

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Ma destinée est un tantinet mutine. Elle se saisit du moindre des hasards pour me créer des amusements qui me laissent parfois médusé. C’est ainsi que je me suis retrouvé la semaine dernière obligé de passer deux nuitées à Nancy.

Nancy est une ville un peu éteinte si j’en crois M. Oldelaf, un chanteur médisant qui a peu d’estime pour elle. C’est une cité pourtant bien séduisante avec une âme et des diamants intimidants qu’il faut savoir tailler, comme la route pour l’âne, à même la place et les monuments.

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On a donc envoyé ce semi-dément de Joe Krapov se livrer à des activités quasi estudiantines dans un amphi empli de rats de bibliothèque, d’éminents documentalistes de l’INIST et de chercheurs initiés dont certains pas encore édentés. Parmi eux notre nain muet a joué les timides du dessin animé et s’est contenté d’écouter, dans un mutisme complet, deux matinées et deux après-midis d’affilée, des palabres sur l’univers quelque peu démâté de ceux qui méditent et testent en labo toute l’année puis éditent en revue leurs idées les plus folles, qui publient les minutes de leurs cogitations intimes au sein d’une unité mixte sur les conséquences de la consommation d’huile d’amande douce par les Suisses et les Suissesses ou font le compte-rendu de leurs expériences de reconstitution du combat de la nudité par le port de la mini-jupe à Dinan au XIVe siècle (cette antienne ancienne a bien entendu fait l’objet d’une soutenance de thèse à l’Université de Haute Bretagne dite aussi Université de Rennes 2).

Vu à ma sauce, Joe Krapov dans un colloque scientifique c’est Tintin et Milou au pays des mutants ! A ce stade, à cet instant, la situation est minée. Je garderai le silence, par décence, sur le fait que c’est la crise, que les ressources de l’Etat s’amenuisent et que, nul ne pouvant nier les ennuis à venir, il n’y aura plus rien demain pour empêcher, amis chercheurs, que vos salaires ne diminuent : les éditeurs auront piqué tout le pognon à vos tutelles. Pas de sentiment ! Tudieu ! La Finance est une satanée tueuse, une ennemie damnée et non une sainte aux mains généreuses. Que je sois maudit, madame Amandine, si je mens ou si vous êtes par ma faute « enduite avec de l’erreur ».

Mais je vois qu’il est temps de parler du musée-aquarium de Nancy où eut lieu, comme dit M. Hajtyla, une « méga chouille » (une fête bien plus agréable que le repas de midi au RU !). Parmi les animaux empaillés, daims, ibis, hérons, ours et morses, notre Joe le taxidermiste a pris quelques instantanés amusants autant qu’inédits.

   

 

 

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Il est resté muet devant les carpes, a immortalisé les manteaux des collègues, intimé mais en vain l’immobilité aux anémones de mer, aimé les pendouillis de queues à la sauce Musée d’art contemporain, payé sa dîme à l’alcoolisme mondain en levant par trois fois le coude. « A la tienne, Etienne-Etienne ! » comme chantait dame Guesch Patti sans laisser d’adresse !

 

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Ensuite Joe Krapov, lui aussi, avant même l’arrivée du dessert, a disparu dans la nuit. Il s’est éclipsé.

Car c’est bien gentil Nancy mais « même si le cœur ne parle pas, il faut savoir l’écouter » : on est quand même mieux auprès de sa mie ou de sa muse quand on est quelque peu midinette et finalement mieux tout court à Rennes! C’est une cité plus aimante ou plus aimantée où l’on est plus ému par les minettes que par Dieu, le roi et son beau-père Stanislas sur la place du même nom, même si elle est très belle aussi !

 

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Le cahier de brouillon de Joe Krapov
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